30 ans, le bel âge

Editorial de Katia Boissevain pour la Lettre anniversaire des 30 ans de l’IRMC (sept. 2022)

L’anniversaire des trente ans d’une institution est sans doute un moment privilégié pour faire le point, pour revenir sur les grandes et les petites rencontres, sur les moments structurants. C’est aussi l’occasion de dresser le tableau de ce qui a été accompli à l’IRMC depuis sa création, de rappeler les relations scientifiques tissées au fil des générations et les thématiques travaillées à partir de la Tunisie.

Il nous a semblé important que La Lettre de l’IRMC « spéciale 30 ans », concoctée avec soin et motivation par toute l’équipe (administrative et de recherche), fasse également un « arrêt sur image » sur la place occupée aujourd’hui par les étudiant·e·s et chercheur·e·s passé·e·s par cet Umifre. Qu’ils ou elles soient recruté·e·s à l’université ou dans des institutions de recherche, dans des ONG, dans des fonctions académiques ou de soutien à la recherche, en France, en Europe ou au-delà, ils et elles continuent de participer à approfondir la connaissance sur le Maghreb et la Tunisie et à densifier les liens entre les organismes/établissements.

Pour la version en ligne de La Lettre n°33, les lecteurs et lectrices trouveront une carte interactive, sur laquelle chaque point indique brièvement le parcours des personnes qui ont fait ou sont passées par l’IRMC. Certaines notices ont donné lieu à des entretiens plus approfondis, tandis que les autres pourront être enrichies au fil du temps et des disponibilités.

Dans une des sections, les chercheur·e·s, ainsi que les associé·e·s – dont le rôle de liaison est fondamental au sein de l’IRMC, ont tenu à aborder la question des conditions matérielles de la recherche : en quoi la recherche sur le Maghreb a-t-elle changé dans les trente dernières années ? Comment la place de l’IRMC a-t-elle évolué dans le paysage scientifique local, en fonction des changements politiques intérieurs ou des relations géopolitiques régionales ?

Par ailleurs, revenant sur le bouleversement causé par la Révolution de 2011, un article décrit la manière dont l’IRMC a été affecté, traversé, comme le reste de la société, par le séisme politique en train de se produire, comme il revient sur la façon dont les recherches et séminaires se sont saisis du moment.

L’une des ambitions pour l’IRMC, au moment de création en 1992, était de dés-essentialiser la région, de dé-spécifier les questions y sont travaillées, et d’intégrer le Maghreb dans le grand concert des sciences sociales, au même titre que d’autres sous-ensembles régionaux tels que la Méditerranée, le Moyen-Orient, ou l’Amérique latine. Sans conteste, l’objectif est atteint. Néanmoins, pour atteindre ce niveau de connaissance sur un pays ou une région, les travaux de terrain, l’immersion longue et l’apprentissage de la langue demeurent incontournables. Pour cette raison, l’institut s’efforce, en dépit des contraintes budgétaires, de maintenir une bourse d’Aide à la Mobilité internationale annuelle pour la recherche doctorale. Nous sommes convaincu·e·s de la vertu d’un échange réel avec le pays pour restituer et analyser au mieux les questions scientifiques qui s’y posent. Ces bourses, dont le nombre s’est, hélas, réduit au fil du temps, constituent l’un des leviers de l’attachement scientifique des individus à la Tunisie ; l’insertion dans le pays, la fréquentation des gens et des lieux, les amitiés et le partage des expériences nourrissent la compréhension.

D’ailleurs, le vocabulaire et les images employées ne trompent pas. Lorsque l’institut est évoqué par celles et ceux qui y ont travaillé, il est souvent question de « maison », de « lieu de naissance », de « plateforme collaborative » voire de « courroie de transmission » entre le Maghreb et l’Europe. L’IRMC peut également être pensé comme une « machine à fluidifier », car son équipe de recherche, tout comme l’administration, permet souvent de huiler les rouages, d’agir là où ça grippe, de favoriser des rencontres scientifiques, de consolider des relations professionnelles et d’initier des programmes de recherche porteurs. Son positionnement transversal, sa compétence couvrant trois des pays du Maghreb (Tunisie, Algérie et Libye), ses relations entretenues avec les universités dans chacun d’entre eux, et son double ancrage institutionnel en France (entre le MEAE et le CNRS), l’autorisent bien souvent à se placer dans les interstices, et d’être un lieu de médiation, au sens fort du terme. Travailler au sein de l’IRMC oblige à une observation décentrée, et ce décalage affûte les regards et aiguise les analyses qui en découlent. Les doctorant·e·s ou post-doctorant·e·s passé·e·s par ici ont, pour l’immense majorité, continué d’entretenir des relations professionnelles avec la région, qu’ils ou elles soient impliqué·e·s dans la recherche scientifique ou non.

Maison ou plateforme, ce lieu est devenu, au fil du temps, un espace intellectuel reconnu pour l’excellente formation de ses nombreux chercheur·e·s en France et au Maghreb devenu·e·s aujourd’hui spécialistes de la région. Les thèses préparées, les programmes de recherche conduits, les écoles doctorale dispensées, formations et séminaires ainsi que les publications réalisées ont enrichi notre connaissance sur la région et ont contribué à tisser des liens professionnels au long cours à travers des amitiés profondes, durables, internationales, interdisciplinaires et souvent intergénérationnelles.

L’IRMC, en tant qu’Umifre, est un outil précieux pour la connaissance en sciences humaines et sociales et pour développer des collaborations scientifiques au niveau de l’aire formée par l’Algérie, la Tunisie et Libye. Les liens avec le Centre Jacques Berque (CJB), qui travaille au Maroc et en Mauritanie, participent de ce maillage et des échanges du savoir. Les programmes de recherche qui sont déployés à Tunis et les orientations de la politique qui y est conduite sont en prise avec les grands enjeux scientifiques du moment : les questions politiques, juridiques, sociales, environnementales, urbaines, ainsi que celles liées au religieux ou aux enjeux économiques. Elles y sont traitées sans polémiques, avec l’autonomie et le regard critique qu’il convient pour maintenir l’intégrité scientifique et la liberté nécessaires. De plus, sa bibliothèque attire de nombreux doctorant·e·s et chercheur·e·s tunisien·ne·s (et algérien·ne·s, avant la pandémie de 2020) et a confirmé sa place en tant que lieu-ressource pour bon nombre d’universitaires en Tunisie.

Les prochaines grandes manifestations auxquelles contribue l’IRMC reflètent son rayonnement international : Le Forum Insaniyyat Tunis 2022, premier Forum intermaghrébin en SHS, qui réunit 1 000 participant·e·s en septembre 2022 à Tunis, le Congrès de l’AISLF en octobre 2022, qui accueillera à Sfax les sociologues de langue française, et la participation de l’IRMC au Salon des sciences humaines et sociales d’Oran, en novembre2022. Son école doctorale itinérante, qui se déplace en Afrique de l’Ouest depuis 2016, en est à sa 5e édition et est promise à un bel avenir. L’année des trente ans de l’IRMC est donc un feu d’artifice d’événements de grand ampleur, et nous nous en réjouissons.

Je profite de ces quelques lignes pour remercier Selma Hentati, responsable des publications depuis janvier 2022 et Besma Ouraied, infographiste-maquettiste historique de l’IRMC, qui ont travaillé sur la carte interactive avec ingéniosité et bonne humeur. Vanessa Aubry, Volontaire internationale habituellement chargée de trouver des financements pour les programmes de recherche, et Mohamed Slim Ben Youssef, doctorant, ont conduit, pour cette occasion festive, des entretiens auprès de personnes proches de l’IRMC avec tact, et faisant preuve d’une curiosité toujours bien placée. Enfin, le nouveau site internet, mis en ligne grâce au travail de Afef Toumi, chargée de communication, ainsi que le compte Facebook et Twitter, favorisent une bonne visibilité, et ce faisant, une meilleure circulation des informations. Pour finir, j’adresse un très grand merci à l’équipe administrative soudée et impliquée qui tient l’ensemble, sans laquelle il n’y aurait pas d’IRMC.

Michel Camau (1er directeur-fondateur de l’IRMC) laisse entendre dans sa contribution d’ouverture qu’il a toujours été très attentif à ce lieu au cours des trois décennies écoulées. À titre personnel, en tant que 7e directrice et ancienne boursière MEAE, je suis honorée de me placer sous le regard bienveillant de son fondateur et la continuité constructive de mes prédécesseurs.

Je souhaite longue vie à l’IRMC. Joyeux anniversaire à nous toutes et tous !

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