Symposium international organisé avec le soutien de l'Ifha à l'Université de Haute-Alsace
Dès l'issue du XVIIIe siècle, les courants artistiques et intellectuels de l'aire germanophone sont non seulement particulièrement conscients de leur identité de groupe, qu'ils cherchent à marquer par diverses stratégies, mais ils témoignent, à l'issue de la révolution française, d'une perception vive de l'accélération du rythme de l'histoire. Ce mouvement d'accélération s'intensifie encore au XXe siècle, où les positionnements artistiques et intellectuels se succèdent et se diversifient à une allure qui frappe les contemporains et participe peu à peu de la constitution identitaire du paysage intellectuel et artistique dans le monde germanique, où la première moitié du XXe siècle dans son ensemble apparaît, de par cette diversité, comme un vivier d'une richesse exceptionnelle. Cette succession de mouvances contraires, qui se constituent souvent en réaction immédiate à la norme existante, à savoir une école qui elle-même n'existe que depuis quelques années, pose à chaque fois et de façon de plus en plus urgente la question de la légitimité de la rupture proposée, et ce dans un contexte idéologique et géopolitique d'une grande instabilité. De plus, le principe même d'alternance devient progressivement un facteur pris en compte dans la réflexion identitaire, et l'on cherche à s'extraire de ce cercle de réactions et de contre-réactions qui se succèdent.
Dans cette mesure, l'historicité de l'identité intellectuelle devient un facteur central dans la quête philosophique et artistique au sein de l'aire germanophone. Dans cet espace culturel, fortement marqué par l'historisme, la recherche de points d'ancrage pérennes apparaît pour certains comme un enjeu existentiel, et la table rase la voie royale pour dégager des repères qui possèderait une légitimité capable de surmonter les aléas de l'histoire. Par ailleurs, la conscience progressive de cette historicité, et par-là même d'une relativité plus ou moins acceptée de toute innovation intellectuelle et artistique, soulève le problème de l'impossibilité d'une rupture absolue avec le passé, ou du moins suppose une sensibilité accrue à l'égard des seuils à dépasser et des conséquences d'un tel franchissement. Mais se pose également le problème du rapport au passé, car le point d'ancrage tant recherché s'avère souvent être un passé plus ou moins mythique, qui n'aurait pas connu son nécessaire épanouissement et qu'il s'agirait de refonder (on pense notamment à l'entreprise de Richard Wagner ou de façon plus caractéristique encore, à Arnold Schoenberg). La rupture aurait déjà eu lieu dans le passé, il s'agirait à présent de la porter à la conscience des hommes. Tout à fait caractéristique de cette époque sont en effet des procédés d'idéalisation de certaines traditions (dans le texte théorique, mais également et surtout dans la pratique esthétique), qui vont de pair avec une rhétorique de la rupture.
Il s'en dégage un rapport spécifique entre pratique d'écriture et réflexion théorique, où le corps même de l'œuvre s'efforce de concrétiser la rupture et affiche par divers moyens, qu'il s'agira d'étudier, un rapport complexe entre passé, présent et futur. En effet, de nombreux projets artistiques et intellectuels de cette époque finissent par afficher une sorte de classicisme serein qui masque leurs pouvoirs subversifs, tout comme d'autres projets exhibent une rhétorique de la rupture somme toute très convenue et peu réfléchie. Ce moment réflexif peut apparaître comme constitutif de la pensée allemande durant la première moitié du XXe siècle, dans son rapport toujours problématique à sa propre historicité. Dès lors, le point de rupture a lui-même tendance à se constituer en moment légitimant de la pensée, et il s'agira d'établir de quelle façon s'articule la pensée de l'auteur par rapport à ce point de rupture, de quelle manière il peut être amené à afficher la conscience des limites de cette rupture. Il s'agit donc, en somme, d'étudier les dispositifs textuels (et esthétiques) qui visent à marquer le positionnement d'un auteur en termes de rupture et de continuité, dans le cadre de projets qui portent en eux la prétention plus ou moins ouvertement affichée d'établir une nouvelle tradition (ou de rendre enfin justice à une œuvre du passé en la dépassant), de créer en quelque sorte un présent qui se pense en nouveau et authentique passé, une authenticité qui serait en mesure de s'établir de façon définitive, notamment dans un contexte national, voire souvent nationaliste (ou anti-nationaliste), dimension qui va souvent de pair avec ce type de prétentions. Ce rapport extrêmement complexe et souvent paradoxal entre le geste de rupture et l'affirmation d'une tradition, entre destruction et construction de légitimités, n'a pas encore fait l'objet d'un travail de recherche collectif et interdisciplinaire, qui seul sera en mesure de véritablement dégager s'il s'agit là d'un point de convergence caractéristique de la création intellectuelle et artistique de cette époque.
Organisation : Bernard Dieterle et Daniel Meyer (Mulhouse).