Séminaire « Immigration, changement social et changement juridique au Maghreb : pratiques et transformations des cadres juridiques sous l'impact de l'immigration »
Séminaire international organisé par l'Observatoire des circulations migratoires et des espaces transfrontaliers du CJB (Centre Jacques Berque), Rabat.
Programme complet ci-dessous
Responsable scientifique : Ali Bensaâd
Lieu : Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc, Rabat
La question de l'immigration et de son traitement est une des questions importantes qui animent le débat politique et de société au Maghreb. Elle s'impose au point même d'investir les pratiques institutionnelles des Etats. C'est ainsi que les 5 pays du Maghreb ont dû procéder à une refonte totale ou conséquente de leur droit des étrangers qui, au-delà de cette catégorie, a également des incidences sur la vie des citoyens de ces pays. Il s'agit d'une opération de création de droit sans précédent depuis les indépendances, illustrant, si nécessaire, l'importance prise dans ces pays par la question de l'immigration, dorénavant fait sociétal et spatial majeure et inédit.
Le séminaire se propose de faire le point des diverses mutations qu'ont connues les cadres juridiques dans les différents pays du Maghreb, leurs significations et leurs incidences sur les migrants, les citoyens et l'action publique en général, en lien direct ou indirect avec l'immigration.
Mais au-delà de l'étude des transformations juridiques elles-mêmes, le séminaire s'intéressera surtout aux dynamiques sociales qui les ont induites et à leur impact social, aux pratiques publiques et sociales qui se développent en conséquence sur le terrain y compris celles qui les contestent ou les contournent.
Elaborées sous forte prégnance d'un contexte où la question migratoire est devenue un enjeu des relations internationales Sud/Nord mais aussi Sud/Sud, ces transformations juridiques ont signé une érosion de souveraineté des Etats-Nations maghrébins dans leur domaine le plus symboliquement régalien tout en leur servant pour faire de la question migratoire un instrument de leur diplomatie, une arme de négociation avec l'Europe, un enjeu régional mais aussi un élément de politique intérieure. Et si l'européanisation des enjeux migratoires a renforcé leur fonction de cordon sanitaire, en transposant les normes juridiques européennes et en accusant leur fonction répressive, elle a aussi paradoxalement réintroduit, du moins formellement et dans le débat, la question de l'Etat de droit, estompé du débat public dans ces pays. Quelle réalité et quel sens peut prendre une telle question dans un contexte local marqué par un déficit démocratique et des pratiques institutionnelles autoritaires? Quels interstices pourraient s'ouvrir ? La situation des migrants et leur traitement devient pour les sociétés civiles de ces pays mais aussi pour les collectifs de migrants qui s'y organisent, souvent en connexion avec des ONG locales ou internationales, un vecteur nouveau qui renouvelle la question de l'Etat de droit et la soustrait au huis clos national. Aussi le séminaire se propose également de revisiter la question de l'Etat de droit au travers des nouvelles dispositions juridiques sur les migrations et de leurs échos dans les sociétés maghrébines.
Dans ces transformations juridiques se reflète également le contexte géopolitique qui les a produites et les enjeux qui s'y sont inscrits et qui feront également l'objet de l'intérêt du séminaire. On s'intéressera notamment au degré de leur imprégnation par les angoisses sécuritaires européennes ou celles nationales ou régionales qui (re)surgissent (terrorisme, maitrise des confins territoriaux) et au degré de prise en compte ou d'occultation des spécificités historico-sociales de la région notamment l'héritage et de la réalité actuelle de circulations régionales multiples et variées. On s'intéressera aux équilibres qui se redessinent ainsi avec l'Europe, entre les pays de la région voire à l'intérieur de certains d'entre eux et qui se lisent au travers de dispositions comme l'externalisation de la gestion des frontières et de l'intervention directe des agences européennes sur les frontières nationales des pays maghrébins, la réadmission et le refoulement de migrants entre pays maghrébins et sahéliens ou entre pays maghrébins eux-mêmes y compris s'agissant de citoyens d'autres pays maghrébins, l'interférence avec les logiques des dynamiques locales et régionales de la circulation. Ces enjeux géopolitiques qui se lisent dans une part importante des dispositions juridiques nouvelles nationales ou régionales se lisent également dans la sémantique employée comme par exemple la notion de « transit » qui justifie tout à la fois les pays maghrébin dans leur refus d'assumer leur statut de pays d'immigration et les pays européens à les responsabiliser des circulations qui ont l'Europe pour destination.
Aussi la réflexion sur ces dispositions juridiques amène donc, de fait, à réinterroger les outils conceptuels des migrations internationales. Un des objectifs du séminaire est, à travers le cas concret des changements juridiques, de questionner les conceptions et les schémas généraux des déterminants de ces migrations à l'aune de l'inédit du passage du Maghreb au statut d'espace d'immigration.
Programme du colloque
Lundi 28 février
9h : séance d’ouverture
Baudoin Dupret, directeur du Centre Jacques Berque, Rabat
Mohamed Berriane, Equipe de Recherche sur la Région et la Régionalisation, Rabat
Mohamed Charef, directeur de l’ORMES (Observatoire Régional des Migrations Espaces et Sociétés), Université d’Agadir
Zoubir Chattou, Centre Abdelkebir Khatibi pour l'étude des migrations transnationales, Meknès
Introduction au colloque
Ali Bensaâd, IREMAM, Aix en Provence/ CJB, Rabat : La question migratoire, le vecteur inattendu de renouvellement du droit et de la question de l’Etat de droit au Maghreb
9h 30 - 13h : séance 1 : Liberté de circulation et contrôle des migrations
Hervé Lebras, EHESS, Paris : Liberté de circulation : de l'argument éthique à l'argument économique
Ali Bensaâd IREMAM/ CJB : Spécificités saharo-sahéliennes et européanisation des enjeux migratoires. Les perspectives divergentes de la formulation de la question de la liberté de circulation
Julien Brachet, IRD et Paris I-Sorbonne : Regard sahélien sur le durcissement des politiques migratoires en Afrique du Nord
Delphine Perrin, CARIM, RSCAS, Institut Universitaire Européen : Déterminants et énigmes juridiques d’une « criminalisation » de la migration au Maghreb
14h30 - 18h : séance 2 : Gouvernance et enjeux internationaux des migrations au Maghreb
Philippe Fargues, Directeur CARIM, RSCAS, Institut Universitaire Européen : Inventer une gouvernance globale des migrations. Quelles leçons tirer de l'expérience maghrébine ?
atherine De Wenden, CERI Sciences Po, Paris : La « diplomatie des migrations » dans les pays de la rive Sud de la Méditerranée
Clotilde Caillault, GADEM, Rabat : Sous-traitance des politiques migratoires européennes à des OI, ONG et institutions marocaines, à travers l'exemple des programmes de l'OIM
Caroline Stainier, Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme : Politiques européennes en matière de migration, quels effets sur la situation des migrants, et réfugiés dans les pays du Maghreb ?
Marc Fawé, UNHCR, Rabat : Evolution récente du droit d'asile au Maroc. Vision depuis l'action d'accompagnement des réfugiés par le HCR
Mardi 1er mars
9h30 - 13h : séance 3 : Des législations maghrébines entre nouveaux questionnements et raidissements
Khadija Elmadmad, professeur de droit, Rabat, titulaire de la Chaire UNESCO "Migration et Droits Humains" : Migrations et Droits au Maroc
Souhayma Ben Achour, maître de conférences, Université de Jendouba (Tunisie) : Le cadre juridique des migrations en droit tunisien : les significations d’un raidissement législatif
Ali Mebroukine, professeur de droit, Université d’Alger : Les nouvelles lois restrictives régissant l’entrée et le séjour des étrangers en Algérie, des lois de circonstance ?
Naïma Babai, Les remaniements législatifs et politiques sur la migration et leurs effets paradoxaux sur les comportements migratoires des mineurs isolés
Hocine Zeghbib, Université de Montpellier : Le droit des étrangers au Maghreb : un système normatif européen et ses effets sélectifs dans un contexte local autoritaire
14h30-18h : 4e séance : Les circulations migratoires à l’épreuve des cadres juridiques répression, contournement et contestation
Alain Tarrius, professeur de sociologie, Toulouse le Mirail : Les frontières des territoires de circulation des transmigrants comme subversion de celles des nations
Mohamed Charef, ORMES (Observatoire Régional des Migrations Espaces et Sociétés), Université d’Agadir : Le traitement des migrations subsahariennes au Maroc. L’exemple des évènements de Ceuta et Melilla
Nadia Khrouz, doctorante Centre Jacques Berque : Autonomie de l’autorité judiciaire et gestion sécuritaire de la migration au Maroc
Monia Ben Jémia, professeur à la faculté des sciences juridiques de Tunis : Migrations féminines et réformes maghrébines récentes du droit de la migration internationale (sous réserve)
Mehdi Allioua, Université Toulouse Le Mirail : Globalisation des politiques migratoires et réseaux transversaux de résistance des migrants. L’exemple de la mobilisation des transmigrants subsahariens au Maroc et ses conséquences
18h : Conférence « Grand Public » à l’amphithéâtre de la BNRM : « Faut-il contrôler les migrations ? »
Avec Hervé Le Bras, Philippe Fargues, Catherine De Wenden et Alain Tarrius