Date de début:
Publié ici :
21 Octobre 2011Mis à jour le :
19 Octobre 2017Zone géographique:
- Moyen-Orient

Journée d'étude organisée par Jean-Noel Ferrié, Directeur au CNRS et directeur adjoint du CJB.
Le monde dans lequel nous vivons est peuplé d'êtres de différentes sortes. Nous considérons communément comme des « êtres » des entités dotées d'une intentionnalité semblable à la nôtre ou compatible avec elle, s'établissant au moins partiellement sur un support matériel spécifique ou bricolé. Un être doit donc exister, en partie, extra intellectum et posséder une forme d'intentionnalité. Il s'agit de deux conditions nécessaires. Un robot, par exemple, n'est pas un être bien qu'il existe extra intellectum. Pour être un être, il faudrait qu'il soit également doté d'une forme perceptible d'intentionnalité, ce qui impliquerait. De passer, non pas le test de Turing, mais un test établissant qu'il est doté d'une intentionnalité plutôt que d'un programme. L'existence d'un support spécifique apparaît ainsi nécessaire. En effet, une intentionnalité détachée du moindre dispositif matériel spécifique n'est tout simplement ni possible, ni pensable, puisqu'elle ne se distinguerait pas de la somme des choses et des jours ; or l'intentionnalité est une conscience représentationnelle de l'existant, c'est-à-dire quelque chose qui s'en distingue. Il en découle que, pour que le monde (par exemple) soit doté d'une intentionnalité, il faudrait qu'il devienne quelque chose qui se différencie de la somme de ses composantes, quelque chose avec lequel je puisse entrer dans un jeu de perspectives réciproques, c'est-à-dire quelque chose qui ne soit pas le tout mais un individu spécifique et non un agrégat d'individu. Bref, un être est un individu unique doté d'intentionnalité. Il s'agit là d'un fait d' « ontologie populaire », au sens de Roger Pouivet, c'est-à-dire de la conception ordinaire de ce qui fait les êtres. Il arrive, certes, que l'on dise des phrases du type : « je téléphone à la mairie », mais la mairie n'est pas un être collectif pour autant, puisque c'est à une personne précise que l'on parle (si le coup de téléphone aboutit). Je peux maudire la mairie, si la réponse que j'obtiens ne me convient pas. Il est alors possible que la phrase qui me vienne à l'esprit soit : « Qu'elle crève ! » ; toutefois, il y a de bonnes chances que ce soit plutôt un « singulier-pluriel » du type : « La mairie, ce sont tous des ... » ou « A la mairie, ils sont tous... »). Bref, je ne perds jamais de vue qu'un collectif n'est pas un être unique avec qui je puisse véritablement entrer en interlocution. Des deux conditions nécessaires d'existence d'un être, la condition d'individualité est ainsi la moins plastique. On peut prêter une intentionnalité à un être qui n'en possède initialement pas, mais on ne peut pas faire qu'un agrégat de personnes passe sérieusement pour un individu au prétexte qu'un nom commun les engloberait. Un point important est que cette individualité essentielle n'est avérée que s'il existe un dispositif pratique manifestant sa différenciation du tout, bref sa particularité. C'est cette particularité qui me permet de distinguer un être, de m'orienter vers lui et d'établir – au moins de mon point de vue – un jeu de perspectives réciproques. Je peux parler au « monde » comme nom propre d'un être collectif spécifique mais non au « monde » comme somme des choses qui existent. Le monde comme être, c'est à la fois un nom – « le monde » – et l'une ou l'autre des choses qui le compose, considérée dans une relation métonymiques comme la manifestation unifiée (personnifiée, si l'on préfère) de son existence. Par exemple, je parle au monde en regardant l'aube se lever. L'aube est alors le visage du monde. Je ne peux m'adresser à un être – et donc considérer qu'un être existe –, si je ne peux pas le situer dans un dispositif plus ou moins sophistiqué. S'adresser, c'est, en effet, avoir un interlocuteur. Les expériences de spiritisme conduites au dix-neuvième et au début du vingtième siècle en témoignent : si un esprit nous parlait seulement in intellectu, sans la médiation d'objets et sans même d'effets sonores nous ne pourrions tout simplement pas le concevoir comme distinct de nous même ou comme distinct de la personne qui prétendrait qu'un esprit lui a parlé. Une intentionnalité inscrite dans un dispositif tangible (extra intellectu donc) est donc la condition fondamentale d'existence d'un être.
Il s'agit d'une condition robuste et accueillante qui permet de considérer comme des êtres un grand nombre de choses du monde. Tout en respectant cette condition, certains êtres relèvent du bricolage (et sont donc totalement artéfactuels) et d'autres sont pleinement vivants ; certains, quoique vivants, présentent une intentionnalité problématique et partiellement artéfactuelle, de sorte qu'ils ne s'inscrivent que d'une manière assistée dans un jeu de perspective réciproque, et d'autres, bien qu'artéfactuels, s'inscrivent facilement dans un tel jeu. Prenons quatre êtres : un chat, Dieu, un rosier et un manitosaure. Le chat est un être vivant avec une vie cérébrale individuelle. En même temps, dans les relations que j'entretiens avec lui, une part compréhensible de son intentionnalité (au moins) provient de ma propre vie mentale. Ce prêt s'appuie sur une relation conduite, de part et d'autre, de manière autonome avec des perspectives probablement différentes. Je peux penser que mon chat vient me soutenir dans mon travail, lorsqu'il s'allonge sur mon bureau à proximité de mon ordinateur ; en fait, il est possible qu'il soit plus attiré par le ronronnement de mon ordinateur que mû par un sentiment de solidarité. Il est, cependant, probable que la rencontre de mes idées sur mon chat (il vient me soutenir) et de son comportement (il aime le ronron de l'ordinateur) produise un agréable sentiment de réciprocité (je ressens une bouffée de gratitude et je lui gratte la tête entre les deux oreilles, ce qui lui fait manifestement plaisir) qui n'exprime pourtant en rien la réciprocité de nos perspectives. Avec le chat familier, nous avons donc affaire à un être individué et doté d'un corps (un dispositif organique) mais une part au moins de l'intentionnalité, qui lui est attribuée, provient de nous. Avec Dieu, les choses sont différentes, puisqu'il n'est pas corporellement présent parmi nous et que je ne puis même pas me fonder sur aucun signe ostensible de sa part. La création n'est pas spontanément un signe ostensible. Un signe ostensible serait un miracle. Le Christ apporte une réponse satisfaisante (parmi d'autres possibles) à cette absence. Il est facilement représentable comme un homme et on peut le doter plus aisément qu'une autre divinité d'une intentionnalité semblable à la nôtre, dans la mesure où il a partagé un temps la condition humaine. Le support de l'intentionnalité qui fait de Jésus un être avec lequel je puis interagir, c'est à la fois ma connaissance de sa biographie et donc de son existence corporelle à un moment donné de l'histoire (du moins selon sa biographie), sa représentation humaine sur la croix vers laquelle se porte mon regard et les pensées que je lui prête. Ces pensées sont mes pensées appropriées à un autre être et formées selon ses caractéristiques conventionnelles (il est bon, il a été homme, il connaît notre condition...). Comme dispositif tangible, Jésus est fait d'objets le représentant (adulte sur la croix, bébé dans la crèche) ou l'évoquant (la croix toute seule, l'Eglise) et de connaissances partagées à son propos. Son intentionnalité, en revanche, est un produit de notre pensée ; c'est avec nos mots et nos idées qu'il nous parle. Le rosier, lui, est un dispositif organique ; il est vivant comme le chat, mais sa vie se manifeste par des changements lents (il pousse, des boutons de rose apparaissent, ils s'ouvrent mais je ne les vois ni apparaître ni s'ouvrir sauf si je les filme). Il m'est difficile de lui prêter sérieusement une vie mentale et donc de m'appuyer sur celle-ci pour lui accorder une intentionnalité et me placer avec lui dans un jeu de perspectives réciproques. Pourtant, je peux parler à ce rosier, le matin en prenant mon café à côté de lui. Je peux même sentir un plaisir spécifique à sa présence ; et ce n'est pas exactement comme s'il s'agissait de la présence d'une pierre, parce que je sais que mon rosier est vivant alors que la pierre aux reflets moirés, posée à côté de moi, malgré sa beauté, ne l'est pas. Toutefois, la seule intentionnalité qui soit à l'œuvre est la mienne. Venons-en, pour finir aux « manitosaures ». Il s'agit d'êtres sympathiques et familiers, manifestés par la main et le bras et prétexte à des jeux de rôles entre un père et ses fils. La main (le pouce étant opposé aux quatre doigts comme si l'on figurait une mâchoire de crocodile) représente la tête et le bras, le restant du corps. Ils sont végétariens et issus d'une évolution particulière des dinosaures. Il y a autant de manitosaures que de mains de participants. Dans le courant du jeu, on peut diversifier leur caractère et inventer des histoires complexes les concernant. Quand « Papa » joue au manitosaure avec un de ses fils, il « est » le manitosaure et parle comme lui, de sorte que le dialogue du fils avec la main du père est un dialogue avec le manitosaure. Quand le manitosaure parle, il parle à partir d'un caractère qui s'est formé dans la pratique du jeu. Il existe donc une mémoire propre au manitosaure qui n'est pas située dans un être singulier mais dans la mémoire du père et du fils, de sorte que, quand ils jouent au manitosaure, celui-ci est bien doté d'un équipement mental particulier, même s'il n'est pas situé dans un organe qui lui serait propre. Quand le père « est » le manitosaure, il dit des choses qu'il ne dirait pas autrement. Il arrive même que, lorsque le père est fâché, le fils s'adresse au manitosaure et que le manitosaure lui réponde sans être fâché (le père continuant d'être mécontent). Par jeu, le fils s'amuse, parfois, à appuyer sur le bras de son père en remontant vers l'épaule afin de connaître la longueur exacte du manitosaure. Quand le fils arrive à l'épaule, le jeu doit s'arrêter, en ce sens que l'expérience ne permet plus de mesurer la taille du reptile, mais démontre que le reptile n'est rien d'autre que le bras du père. La solution consiste à l'abandonner, à faire comme si elle n'avait pas eu lieu. Peut-on dire que l'expérience du fils a démontré que le manitosaure n'était rien d'autre que le père ? Non, puisque chacun sait bien que c'est « Papa » qui « fait » le manitosaure, mais que le jeu n'est possible qu'à condition de ne pas prendre en considération que c'est la main et le bras de « Papa » qui sont le corps du manitosaure. A l'intérieur de cette règle, les manitosaures existent bel et bien, puisqu'ils disposent d'un dispositif cognitif individualisant, quand bien même celui-ci est-il situé sur un substrat inaccoutumé. Contrairement au chat, à Dieu et au rosier, le manitosaure est entièrement dépendant des joueurs pour exister tangiblement et intentionnellement, il n'en demeure pas moins qu'il est un être remplissant la condition d'intentionnalité inscrite dans un support tangible.
Cette liste montre qu'un être n'est pas nécessairement vivant – au sens d'un organisme différencié –, qu'un être vivant n'est pas nécessairement doté d'intentionnalité, alors que des êtres artéfactuels peuvent s'en trouver dotés sous certaines conditions, que l'intentionnalité des êtres humains peut devenir l'intentionnalité d'autres êtres ou la compléter (tout au moins dans le commerce qu'ils ont avec eux). Ce qui importe, en définitive, c'est la possibilité de réunir à des degrés divers, dans un dispositif individualisé (généralement identifié par un nom), la condition d'intentionnalité inscrite dans un support tangible. Les variations affectant le contenu de ces conditions donnent lieu à des modes d'être différenciés. Il en découle que la discussion sur l'existence des êtres ne nous place plus dans l'inconfortable situation du « tout ou rien » ou dans l'attitude consistant à « faire comme si ». La question n'est plus, en effet, de savoir si les êtres que nous considérons (qu'ils s'imposent à nous ou que nous les inventions) existent ou n'existent pas véritablement. Ils existent, mais selon leurs modes d'être. Ces modes d'être ne sont pas nécessairement semblables au nôtre, c'est-à-dire l'existence plénière impliquant l'autonomie organique et intentionnelle, ni à celui, majoré, des êtres surnaturels, ils n'en sont pas moins constitutifs d'interactants crédibles. En revanche, tous ces êtres ne sont pas autonomes vis-à-vis de nous ; à des degrés et à des niveaux divers, ils requièrent notre assistance pour exister. Ils ne relèvent donc pas d'un principe de symétrie généralisée, au sens de Latour, mais d'un principe asymétrique d'interdépendance.
Le principe est asymétrique, parce l'existence des autres êtres, tout au moins en tant qu'interactants d'un jeu de perspectives réciproques, découle d'une initiative humaine et n'est soutenable que parce que des êtres humains leurs prêtent une intentionnalité. Cette intentionnalité est, certes, plus ou moins bien appuyée par les êtres en question. Il est ainsi plus facile pour mon chat que pour mon rosier de se trouver pris, de manière crédible, dans un jeu de perspectives réciproques. Toutefois, ma relation avec mon chat, les pensées et les sentiments que je lui prête n'existent qu'à l'intérieur de mon propre jeu de langage. Cela ne signifie pas que mon chat n'ait pas de pensées ou de sentiments ; cela signifie simplement qu'ils ne se manifestent que dans mon langage et, qu'à proprement parler, je ne peux ni comprendre ni dire ce que pense mon chat : en fait, je lui attribue les pensées que je pense qu'il a (même s'il a ses propres pensées et si l'interaction crée un ajustement entre les miennes et les siennes). En somme, ses pensées sont les miennes. Il en est de même pour Dieu (quoique dans un autre dispositif) et pour les manitosaures. Dans les termes utilisés par Searle, ils jouissent d'une « intentionnalité dérivée » depuis la mienne. Ce principe asymétrique est un principe d'interdépendance tout d'abord pour la raison que je viens de dire : les autres êtres dépendent de mes pensées pour être. Mais, en même temps, mon confort spirituel dépend aussi de leur existence. Nous avons besoin d'interlocuteurs non humains (comme nous avons besoin de ces vies adjacentes que procurent les fictions). Ce besoin peut être expliqué de différentes manières. Nous n'en discuterons pas ici. En revanche, il est nécessaire de discuter (rapidement) de la conséquence éthique de l'interdépendance asymétrique. Elle implique que, lorsque nous disons que certains de ces êtres ont des droits – les animaux, par exemple –, nous ne reconnaissons pas un fait antéprédicatif découlant de leur dignité intrinsèque, mais nous établissons un fait grâce à une redescription de ce qu'ils sont. En d'autres termes, nous mettons en place une « vérité ». Cette vérité est, bel et bien, le fait d'une redescription au sens que Rorty donnait à ce terme. Une redescription consiste à produire de nouveaux éléments d'intelligibilité permettant de voir une chose (et donc un être) d'une autre manière, de sorte que notre attitude envers elle s'en trouve modifiée. La véridicité d'une redescription réside dans l'épaisseur de sa trame et dans sa pertinence contextuelle. Elle s'appuie notamment sur les caractéristiques de l'être en question, puisque ces caractéristiques documentent son existence. De ce point de vue, les êtres de différentes catégories, tous les êtres en fait, se trouvent insérés dans des trames dialogiques constituées par l'ensemble des productions langagières (orales comme écrites, donc) qui, dans le présent ou dans le passé, portent sur eux. Cette insertion donne du crédit à leur existence, puisqu'elle apparaît comme un fait partagé, un fait valable pour d'autres. Dieu est ainsi un être crédible (même si l'on n'est pas croyant) dans une très large communauté ; les manitosaures ne sont crédibles que dans une communauté très restreinte, mais le mécanisme d'attestation est à chaque fois le même : ce que l'on dit de l'être en question, et surtout si l'on en parle de manière contrastée ou dans des occasions différentes, l'établit comme existant indépendamment d'une personne seule, de sorte qu'elle ne peut plus être réduite à une existence in intellectu. Exister dans l'activité langagière, c'est en effet exister extra intellectum. Les êtres qui existent de cette manière sont, par conséquence, des faits publics pour les membres de la communauté. Il en est de même de leurs caractéristiques. Si l'on dit, par exemple, que parler aux chats les rend plus intelligents et qu'un nombre suffisant de personnes le répète avec, certes, des variantes, en l'insérant dans leurs propres trames langagière, le crédit d'une telle assertion s'accroît indépendamment même de sa démonstration expérimentale. Ce qui va faire que tel ou tel être sera considéré comme titulaire de droits subjectifs comparables à ceux dont nous jouissons, ce n'est donc pas ce qu'il est mais ce que nous en faisons. De ce point de vue, un dessin animé dont les personnages sont des lapins est certainement plus efficace pour la reconnaissance de droits aux lapins, qu'une expérimentation portant sur ses capacités cognitives de l'espèce. C'est ce que nous pensons être le lapin – en d'autres termes, la version du lapin accréditée par la trame dialogique qui s'est déployée à son propos – qui fait du lapin un candidat plus ou moins crédible à l'obtention de ces droits. Ainsi, non seulement les pensées des êtres autres qu'humains sont-elles nos pensées mais leur dignité morale est-elle le fait d'un travail de redescription, c'est-à-dire d'attribution et de sélection de caractéristiques les rapprochant ou les éloignant de nous. En définitive, cela dépend de notre capacité à établir et à maintenir avec eux un jeu de perspectives réciproques. De ce point de vue, le zoocentrisme promu par les défenseurs des animaux et certains spécialistes de sciences sociales n'est rien d'autre qu'une reformulation de l'anthropocentrisme, découlant de la redescription de toute une série d'êtres.
A partir de cette ébauche de ce qui fait et de ce que sont les êtres non humains, on peut envisager un questionnement permettant de clarifier la place particulières des êtres surnaturels. D'une manière générale, l'étude de ces êtres a été prise en charge par l'anthropologie ou la sociologie religieuses, et assez souvent à leur détriment. Durkheim a ainsi développé une conception efficace de la religion au terme de laquelle les êtres divins ne sont nécessaires ni à l'existence ni à l'explication des phénomènes religieux, l'objet de la religion étant la société elle-même. On s'est aussi intéressé au « croire », en se demandant, non pas comment s'organisait la crédibilité d'une croyance, mais quels étaient les états de conscience requis pour la prendre au sérieux. Les explications de cette sorte remontent à Tylor. On les retrouve chez Frazer. Wittgenstein en a fait la critique tranchante. En fait, ce qui est requis pour interagir avec les êtres surnaturels est beaucoup plus simple et apparaît du même ordre que ce qui est requis pour interagir avec d'autres types d'être : l'essentiel provient de notre activité langagière et du jeu de notre intentionnalité, vis-à-vis desquels nous ne sommes pas dans une attitude de doute mais, au contraire, de confiance routinière. On pourrait aisément reprendre le propos de Wittgenstein, à propos de Frazer, remarquant qu'embrasser l'image du bien-aimé « vise à procurer une satisfaction et y parvient effectivement ». Plus loin, il ajoutait que la magie représente un souhait et que la représentation d'un souhait, c'est ipso facto la représentation de sa réalisation. Lorsque nous mettons en place des êtres et lorsque nous avons un commerce avec eux, nous ne nous penchons pas sur la véracité de leur existence, entendu comme un fait physique (ou un fait qui lui serait assimilable), mais sur l'effet que leur présence et leur commerce nous procurent. Nous ne prions pas un être surnaturel parce que nous sommes certains qu'il existe, mais parce que cela nous fait du bien. Dès lors, la question du « croire » apparaît beaucoup moins importante que ce que nous demandons à ces êtres, c'est-à-dire la grammaire de nos relations avec eux. Cette grammaire incorpore les règles de caractérisation de ces êtres, puisque leurs caractéristiques, nos attentes et nos conceptions de l'ordre des choses (ce qui fait qu'elles sont communément intelligibles) sont intrinsèquement liées. C'est ainsi, par exemple, que les caractéristiques prêtées aux êtres divins les disposent manifestement à l'interlocution.
A l'occasion d'un premier débroussaillage de cette vaste forêt ontologique (si l'on peut ainsi dire), on propose la description, en situation et en contexte, d'êtres différents en partant des êtres surnaturels et en s'attachant à rendre compte des manifestations de leur intentionnalité et des dispositifs d'accréditation et de stabilisation de leur présence.
Jean-Noël Ferrié, CNRS – Centre Jacques Berque, Rabat
9 h 30 – 9 h 50 : Introduction à la journée d'étude (Jean-Noël Ferrié, CNRS, Centre Jacques Berque, Rabat).
9 h 50 – 10 h 10 : « Le curseur de la normalité psychiatrique : le cadre référentiel de la possession pathologique » (Baudouin Dupret, CNRS, Centre Jacques Berque, Rabat)
10 h 10 – 10 h 30 : « Mubârak en odeur de sainteté. Critères ontologiques et dispositifs constitutifs du Président omnipotent » (Enrique Klaus, Sciences-Po Rabat et Centre Jacques Berque)
10 h 30 – 11 h 00 : Discussion
Pause : 11 h 00 – 11 h 20
11 h 20 – 11 h 40 : « Le savoir zoologique chez les Bédouins » (Ahmed Aarab, Université de Tanger)
11 h 40 – 12 h 00 : « L'intentionnalité des animaux : le cas du chien » (Dominique Guillo, CNRS, Centre Jacques Berque, Rabat).
12 h 00 – 12 h 30 : Discussion
Déjeuner : 12 h 30 – 14 h 30
14 h 30 – 14 h 50 : « Quand les djinn sèment le doute dans l'identification des animaux : un
contrepoint animiste en monde analogique ? » (Romain Simenel, IRD, LMI MEDITER, Rabat)
14 h 50 – 15 h 10 : « Les manitosaures, ou ce qui fait les êtres » (Jean-Noël Ferrié, CNRS, Centre Jacques Berque, Rabat)
15 h 10 – 15 h 30 : « Les êtres collectifs. Comment parvenir à une totalité donnée quand il y a plusieurs manières d'être un tout ? » (Virginie Tournay, CNRS, PACTE, Grenoble).
15 h 30 – 16 h 00 : Discussion
Pause : 16 h 00 – 16 h 20
16 h 20 – 16 h 50 : Commentaire et discussion par Philippe Descola (Collège de France)
16 h 50 – 17 h 30 : Discussion