dans le cadre de la Plateforme coopérative pour traduire les sciences humaines et sociales
Traduire la citoyenneté : la citoyenneté en débat
Université de Jordanie, Amman 8-9 octobre 2012
Argument
L'idée de citoyenneté est indissociable de celle de droits. Elle renvoie à la relation entre des individus libres et un Etat, garant et protecteur des droits de tous. Née dans l'antiquité grecque, la notion de citoyenneté s'est élargie et approfondie dans les sociétés contemporaines, en associant droits politiques, sociaux, culturels. Dans une perspective moderne, la citoyenneté est indissociable de l'État de droit. En contrepartie de ces droits, le citoyen a un devoir de respect des lois et de loyauté vis à vis de l'État. A ce titre, la citoyenneté est un processus en perpétuelle construction, susceptible de s’inscrire, de diverses façons, dans un ensemble national ou transnational, mais qui est également projeté de nos jours dans une perspective mondiale.
La circulation de la notion de citoyenneté, dont les acceptions sont plurielles, et sa traduction dans diverses langues et différents contextes, révèlent une généalogie différente selon les pays, qui dépend à la fois des modalités de constitution du politique, de l’histoire des idées et des mouvements culturels, enfin, plus précisément, des circonstances de la construction de l'Etat et/ou d'une entité nationale. L'arabe muwatin renvoie à l'idée de watan, souvent traduit en français par patrie, parfois par nation, mais qui fait référence à un territoire. Il signifie autant compatriote que citoyen. Il s'inscrit dans une configuration sémantique associant les notions de communauté, de nation, de patrie, de référence à une communauté nationale, qui ne correspond pas strictement à la configuration sémantique qui, en français, associe et combine différemment les notions de nation, patrie, citoyen, citoyenneté. L'allemand, les langues slaves, le grec ou le turc, présentent elles aussi des constellations de mots non strictement équivalentes. Pour autant, l'idée d'État de droit, de droits civiques et sociaux, de libertés politiques, est largement partagée et renvoie au corpus de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Les "révolutions arabes" de 2011 se sont faites partout sous les thèmes des libertés, de l'État de droit, de la justice sociale. Les évènements qui ont suivi ont toutefois remis sur le devant de la scène certaines questions non résolues comme les droits des communautés religieuses minoritaires, ou ceux des femmes, reliant la question de la citoyenneté avec celle de l'égalité. La question nationale reste centrale (ce dont témoigne la sensibilité de la question palestinienne, mais pas seulement), et en laisse d’autres en suspens, pourtant au cœur de nombreuses batailles : ainsi de la transmission de la nationalité, encore interdite aux femmes mariées à des étrangers dans une majorité de pays arabes ; des droits des Palestiniens dans les pays arabes où ils résident ; mais aussi des citoyens ressortissants d’autres pays arabes, des travailleurs étrangers, des réfugiés ; celle du vote des émigrés, ô combien polémique au Liban, devient centrale en Tunisie. Sur un autre plan, l’importance de la mobilisation des jeunes dans les évènements en cours pose la question de la place qui leur est accordée dans la vie sociale et politique.
La question de l’égalité en matière de citoyenneté est également prégnante dans de nombreux pays de l’Union européenne : différences de degrés de citoyenneté suivant les catégories de populations, quelle que soit la manière de les désigner (étrangers, minorités, communautés, etc.)… Dans le même temps, l’Union européenne a posé les prémices d’une citoyenneté européenne, transnationale, dans les limites cependant d’une inscription citoyenne dans les États-membres. Cette esquisse entraîne des ouvertures théoriques tout autant que le développement de pratiques nouvelles, dont il reste à savoir comment elles font évoluer la notion même de citoyenneté. La citoyenneté européenne conduit à réfléchir à ceux qui ont des droits (citoyens des États membres) et ceux qui en ont moins («résidents non-communautaires », communautés nomades) et participent à des degrés différents, selon les droits qui leur sont attribués, à la construction du commun. Elle conduit aussi à réfléchir aux « sans droits », comme les « effacés » de Slovénie, les sans-papiers, sans domicile, etc. Mais, au sein des États membres, l'Europe est également secouée depuis deux ou trois décennies par des débats souvent houleux sur la place des "communautés" et des "minorités" (nationales, ethniques, culturelles) dans la communauté nationale, et les droits à leur accorder en tant que tels. Ces débats renouvellent la réflexion sur la relation entre l'individu citoyen et l'État et la place des groupes intermédiaires dans cette relation.
Les écrits scientifiques et les essais ne manquent pas sur ces questions. Le constat a cependant été fait que, hormis quelques auteurs, ils sont relativement peu mis en partage « entre les rives » de la Méditerranée. Ce déficit de connaissance réciproque des termes du débat pose problème et invite à lui opposer des solutions. Inscrit dans le projet de coproduction de savoirs de la Plateforme coopérative pour la traduction des sciences humaines et sociales, le colloque international d’Amman « Traduire la citoyenneté » se situe dans l’actualité des processus de démocratisation à l’œuvre dans plusieurs pays du monde arabe tout autant que dans la crise de la citoyenneté européenne ou dans les interrogations contemporaines sur la citoyenneté mondiale. Il a pour objectifs de :
présenter et discuter les concepts et notions actuellement déployés pour penser la citoyenneté, non seulement du point de vue des droits, mais aussi du point de vue de la participation aux processus politiques, de les comparer, d’identifier les différences d’approche et leurs conséquences théoriques et pratiques ;
établir les corpus pertinents et importants dans une logique de coproduction de savoirs, dans un ensemble de langues (ouvrages fondamentaux et leurs commentaires les plus importants, essais, articles scientifiques et/ou de pensée critique) ;
jeter les bases d’un chantier de traduction cohérent, établi selon un processus de codécision entre les participants, et qui sera engagé à l’issue de la conférence d’Amman.
Thèmes de travail
De ce cadre général, se dégagent quelques axes de réflexion, sur lesquels les intervenants pourront choisir de centrer leur présentation. Il leur sera demandé de traiter l’une ou l’autre des questions proposées ci-dessous. Ils pourront également traiter plusieurs d’entre elles du point de vue de leur articulation. Ce faisant, ils s’attacheront à mettre en évidence les termes des débats en cours dans tel ou tel contexte, les notions clé, et le cas échéant, la façon dont ces notions et ces idées ont pu circuler, venir d’ailleurs, évoluer, à différents moments, en fonction des expériences historiques.
1. Citoyenneté et droits de l’homme, droits civiques et libertés
La citoyenneté est indissociable d’un État de droit : on admettra qu’il n’y a pas de citoyenneté sans respect des droits humains, et de l’égalité des citoyens, des libertés publiques. On pourra discuter de la nature de ces droits et libertés : droit et liberté d’expression, de circulation, d’organisation, de manifestation ; des individus concernés par ces droits : hommes et femmes, jeunes et adultes, riches et pauvres…. Quelles limites à ces libertés, au delà desquelles la citoyenneté, comme participation à la vie publique et protection des citoyens, est menacée ?
2. Citoyenneté, nationalité, espace national et/ou transnational
La citoyenneté est souvent associée à un territoire national et à une nationalité, dont les modalités de transmission et les droits qui lui sont attachés méritent examen. Mais que dire des membres de la communauté nationale résidant hors du territoire national ? De quels droits politiques, civiques, nationaux, sociaux, peuvent-ils bénéficier ? Quel type de citoyens sont-ils ? A l’inverse, quelle est la place des résidents étrangers sur le territoire national ? A quels types de droits peuvent-ils accéder ou prétendre ? Comment les uns et les autres sont-ils représentés ?
3. Citoyenneté, identité, communautés
Comment s’articulent les questions d’identité communautaire et de citoyenneté ? Comment penser la place des "communautés" et des "minorités" (religieuses, ethniques, linguistiques…) dans la communauté des citoyens fondée sur l’appartenance à un État-nation? Si la citoyenneté fonde la relation entre des individus libres et égaux, et un Etat garant de cette égalité face à la loi et protecteur des droits de tous, comment penser l’existence et l’affirmation de solidarités intermédiaires et de particularismes ?
4. Citoyenneté et question sociale
Très tôt, l’idée de citoyenneté et d’égalité devant la loi a été confrontée aux inégalités sociales et économiques. Comment conjuguer citoyenneté et droits sociaux : droit au logement, à la santé, à l’éducation ? Droit à la protection sociale ? Comment les inégalités d’accès à ces biens (y compris entre hommes et femmes) interfèrent-elles avec la pratique des droits citoyens ? avec les représentations de soi comme citoyen(ne), pouvant œuvrer au bien commun ?