Ce séminaire est destiné aux doctorants francophones en sciences humaines et sociales travaillant sur le Japon. Le but du séminaire est de permettre aux doctorants de présenter leurs travaux achevés ou en cours. À chaque séance, deux intervenants disposent chacun de 30 minutes de présentation orale, puis 30 minutes sont dédiées à la discussion collective. Le séminaire est organisé alternativement les mardis et vendredis de la première semaine complète du mois, de 18h00 à 20h00, en salle 601, Maison franco-japonaise (3-9-25, Ebisu, Shibuya-ku, Tokyo).
Interventions de
Laetitia GARDAIX, étudiante en deuxième année de doctorat (INALCO). Thèse en Histoire, sociétés et civilisations. "Les relations extraconjugales dans le Japon moderne (1868-1926) : étude juridique, sociale et littéraire".
En 1898, le Japon s'est doté d'un Code civil et d'un Code pénal d'inspiration occidentale dont certains articles de loi concernent les relations extraconjugales. Sous Edo, le Japon possédait déjà des lois sanctionnant ces relations, bien qu'il ne soit pas sûr qu'elles aient été appliquées à toutes les classes sociales. À cette époque, le concubinage était admis socialement, pour les hommes exclusivement ; les relations extraconjugales des femmes étaient punies et une femme et son amant pouvaient être livrés à la vindicte populaire. À partir de Meiji, la monogamie est instituée sans ambiguïté, bien que ce soient toujours exclusivement les femmes qui soient punies pour relation adultère, malgré certes l'apparition d'un débat parmi les juristes devant le caractère inégalitaire, donc peu moderne, de cette nouvelle loi. La question est de savoir comment ces lois étaient appliquées. Face au défaut d'archives des tribunaux, qui sont soit détruites soit inaccessibles (pour des raisons présentées dans l'exposé), la source privilégiée est la presse de l'époque qui rendait compte non seulement en détail des affaires de relations extraconjugales, mais aussi du déroulement des procès et des verdicts, devenant ainsi la seule source utilisable concernant les décisions juridiques. Il s'agit de mesurer l'écart entre les sanctions prévues par la loi et les sanctions réelles prononcées par les tribunaux et s'il s'est établi ou non une jurisprudence plus tolérante envers la femme et son amant, par exemple en substituant à une peine de prison le versement d'une amende au mari. Ces témoignages issus de la presse peuvent être considérés comme fiables, car factuels. Mais afin d'obtenir une perception moins distanciée, plus humaine de ces affaires, il peut être utile de recourir à un autre type de source ; c'est pourquoi des témoignages d'écrivains de l'époque sont également étudiés, afin d'apporter à ces affaires un autre type d'éclairage.
Aurélien ALLARD, étudiant en deuxième année de doctorat (INALCO, Université Nationale d'Ôsaka). Thèse en histoire, sociétés et civilisation (histoire contemporaine et histoire des religions.) "La réorganisation des sanctuaires shintô à l'époque moderne (1868-1945)".
Au cours de cette présentation, nous tenterons d'appréhender le rôle dévolu aux sanctuaires au cours des différentes périodes politiques, qui jalonnent l'ère de Meiji (1868-1912). Notre attention portera particulièrement sur la réorganisation des sanctuaires de 1906, qui se prolongera bien au-delà, du moins juridiquement jusque la fin de la guerre. Le Japon devenu une puissance impérialiste vient de remporter avec éclat deux guerres contre la Chine (1894-1895) et la Russie (1904-1905). Ces succès militaires achèvent de faire rentrer l'Archipel dans le concert des grandes nations, mais au prix d'un désastre économique dont la population ne cesse de subir les effets. Les gouvernements successifs de ce début de siècle vont donc s'atteler à donner toujours plus de cohésion à la société par la consolidation d'un nouveau découpage territorial dessiné dans les années 1870, voulu rentable, autonome, mais aussi aisément contrôlable, afin d'épouser toujours d'avantage les contours d'un état puissant et moderne. Pour ce faire, les sanctuaires vont jouer un rôle prépondérant, accompagnant le régime jusqu'à sa chute en 1945. La réforme entamée en 1906, dite réorganisation des sanctuaires de la fin de l'ère Meiji (Meiji makki jinja seiri) ou encore simplement fusion des sanctuaires (jinja gappei), joue un rôle clef dans ce processus. Menée avec un rare zèle, suscitant de nombreuses réactions et oppositions au coeur même des communautés rurales, elle modifiera durablement le paysage et le rôle des sanctuaires, et la façon même dont cette religion sera vécue et pratiquée à l'ère contemporaine. Nous nous interrogerons sur la portée de cette vaste politique, en prenant bien soin de différencier les trois acteurs distincts de cette réorganisation : les dirigeants locaux et nationaux, les desservants de petits et grands sanctuaires, et les habitants des communautés. Cette étude sera l'occasion de nous risquer à une interprétation périlleuse du « shintô d'état », notion toujours âprement débattue et non sans visée politique. Qu'est-ce que le shintô des sanctuaires à l'époque moderne ? Quels legs a-t-il laissé à l'époque contemporaine et au shintô d'après-guerre ? Doit-on confondre ou au contraire dissocier shintô d'état et shintô des sanctuaires ? Le rôle prééminent de la vaste réforme de la sphère religieuse, notamment celle du shintô dans la modernisation d'avant-guerre a-t-il été tout à fait spécifique au Japon, où se révèle-t-il au contraire comparable aux exemples occidentaux et autres de par le monde ? Ce ne sont que quelques-unes des questions que permet de poser une telle étude.