Date de début:
Date de fin:
Publié ici :
07 Mai 2013Mis à jour le :
21 Juin 2017Zone géographique:
- Afrique
Comme l’ont démontré les mobilisations populaires en Tunisie, c’est à l’échelle des territoires que les inégalités du développement et l’injustice sont plus particulièrement perçues et vécues. Les disparités socio-territoriales croissantes qui ont accompagné les processus de développement figurent sans conteste parmi les causes profondes de la révolte qui a embrasé le pays à partir de décembre 2010. Contrairement à l’Égypte ou au Maroc, où les mouvements de protestations sont plutôt partis des grands centres urbains, en Tunisie, les foyers de la révolution sont clairement les régions les plus déshéritées du pays, en particulier les régions de l’intérieur, centre-ouest et nord-ouest. Il s’agit des régions qui ont le moins bénéficié du développement économique du pays et qui ont vu la situation sociale et économique de leurs habitants se dégrader fortement, notamment au cours des deux dernières décennies. Comme le soulignent plusieurs auteurs (Belhédi, 1996 ; Miossec, 2002 ; Daoud, 2011), l’aggravation des inégalités régionales entretient des liens étroits avec les processus de métropolisation et de concentration des activités dans les régions littorales et l’ancrage renforcé de la Tunisie dans
le système économique mondial. Ces disparités socio-territoriales croissantes sont attestées par les principaux indicateurs de développement humain (conditions de vie, santé, accès à l’eau potable, emploi, éducation, avec le maintien d’un important taux d’analphabétisme chez les femmes rurales). Tout au long de la période transitoire qui a mené aux élections du 23 octobre, la question sociale, en particulier l’emploi, et celle du développement régional ont pesé sur les termes du débat politique en Tunisie.
La question régionale a continué de susciter d’importantes mobilisations (Kasbah 2 et 3) et de faire l’objet de surenchères politiques, notamment lors de la mise en place de la « Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution », dont la composition a été corrigée en vue d’une meilleure représentation des régions défavorisées, foyers de la révolte populaire. Si la pression de la rue, qui n’a jamais fléchi depuis le 14 janvier, a imposé dans une certaine mesure que les questions sociale et régionale soient inscrites dans l’agenda politique de la transition, force est cependant de constater qu’elle est loin d’avoir occupé une place centrale dans les programmes des partis et dans le débat public. En effet, la montée en puissance du parti Ennahdha à partir de sa légalisation en mars 2011 a contribué à orienter le débat politique et la campagne électorale sur les thèmes religieux et identitaires, au détriment des questionssociales et régionales. Néanmoins, ces questions ont ressurgi à travers les résultats des élections pour l’Assemblée Constituante Tunisienne, qui se sont traduits par de fortes différences de participation et de choix électoraux entre les métropoles côtières et l’intérieur, ainsi qu’entre différents quartiers au sein des grandes villes côtières. Comme l’indiquent des analyses récentes en géographie électorale (Gana, Van Hamme, Ben Rabeh, 2012), le sens du vote ne semble pas correspondre aux projections de la Révolution, puisque ce ne sont pas les acteurs à l’origine de la révolte populaire, en particulier dans la région du centre-ouest, qui ont tiré profit de élections.
Alors que les mobilisations et les tensions sociales n’ont pas fléchi depuis l’arrivée au pouvoir du parti islamiste et que les politiques publiques peinent à trouver des solutions au chômage des jeunes et aux inégalités régionales, l’action étatique continue de faire l’objet de contestations de plus en plus vives de la part des acteurs de la société civile et des habitants des régions défavorisés. En témoigne la marche organisée par les habitants de Siliana en novembre 2012 pour protester contre le peu d’attention manifesté par le nouveau gouvernement à la situation économique et sociale de leur région, marche sévèrement réprimée par les autorités. Par ailleurs, si les mobilisations à l’échelle locale sont le plus souvent guidées par des demandes visant à un meilleur accès aux ressources et au cadre de vie (emploi, accès à la terre, à l’eau, etc.), certains conflits ont été analysés comme renvoyant à la réactivation de solidarités traditionnelles, en particulier tribales.
Ces dynamiques questionnent fortement les enjeux territoriaux des changements sociopolitiques en cours en Tunisie. Elles interrogent en tout cas les dimensions territoriales des politiques publiques et soulignent les limites d’une conception dudéveloppement considéré essentiellement sous l’angle de la croissance et de la compétitivité. Sous la pression de la rue, le premier gouvernement provisoire tunisien a annoncé une réorientation des choix budgétaires en faveur de la création d’emploi et du développement régional. Outre les grands projets d’infrastructures et les incitations à l’investissement en faveur des régions de l’intérieur et les zones rurales, les mesures d’urgence en faveur de l’emploi des jeunes et des « familles nécessiteuses », l’appui à la promotion de la micro-entreprise, la réhabilitation de l’activité agricole et la consolidation des secteurs productifs figurent parmi les actions programmées. Sur le plan institutionnel, la décentralisation, le renforcement des régions, le développement des partenariats public-privé et le rôle de la société civile sont également réaffirmés. Les nouveaux acteurs de la société civile, en particulier le mouvement associatif, entendent également s’impliquer dans le débat et la définition des orientations. Cependant, l’analyse des problèmes et les solutions préconisées par les divers acteurs fait ressortir les divergences de points de vue, tant en matière de traitement de la question sociale et régionale, de réorganisation institutionnelle, que des formes d’inscription à l’économie mondiale. Ainsi, à l’échelle locale, où se déploient à l’heure actuelle de nombreuses initiatives de la société civile, deux visions s’opposent, celle visant la mise en place de projets de développement mobilisant les acteurs locaux et la valorisation des ressources territoriales et celle guidée par une approche caritative du traitement de la question sociale (programmes de bienfaisance mises en oeuvre notamment par des associations islamiques).
La période de bouleversement social et politique en cours en Tunisie apparaît particulièrement propice pour un renouvellement des approches et des pratiques du développement dans le sensd’une meilleure prise en compte des territoires et de leurs acteurs, en particulier à l’échelle locale. L’urgence des réponses à apporter à l’explosion des demandes sociales pour plus d’équité, les nécessaires articulations entre les dimensions économique, spatiale, sociale et institutionnelle du développement, les enjeux de la gouvernance et de la démocratie territoriale interpellent fortement les chercheurs en sciences sociales. Dans ce contexte, ce premier séminaire sur « les inégalités socio-spatiales et les défis du développement territorial en Tunisie», qui s’inscrit dans la perspective de la mise en place d’un réseau de recherche interdisciplinaire à l’échelle de l’Afrique du Nord, propose de contribuer au renouvellement du débat scientifique et politique sur les problématiques du développement, considérées dans leur dimension territoriale. A travers un état des lieux de la problématique du développement régional et territorial en Tunisie et l’évaluation des actions engagées par divers acteurs (État, société civile), il permettra en particulier à des chercheurs de diverses disciplines en sciences sociales et à des représentants de la société civile d’échanger leurs analyses et leurs points de vue sur les thématiques suivantes :
8h30 : Accueil des participants
8h45 : Ouverture, Pierre Noël DENIEUL, (Directeur de l’IRMC)
9h00 : Présentation du séminaire, Alia GANA, (CNRS/IRMC)
Approches globales et sectorielles
Président : Mahmoud BEN ROMDHANE, (Économiste)
Rapporteur : Jean-Louis CHALEARD, (UMR PRODIG, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
9h15 : Abdelkarim DAOUD, (Université de Sfax) : « Découpages régionaux et inégalités territoriales en Tunisie : quelques repères »
9h30 : Hamadi TIZAOUI, (Laboratoire Diraset-Études Maghrébines, Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis) : « Le décrochage industriel des régions intérieures en Tunisie »
9h50 : Marouen TALEB, (doctorant en urbanisme, ENAU) : « L’industrie et l’espace dans l’Ouest du Grand Tunis »
10h10 : Heni FADHEL, (Laboratoire Syfacte, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sfax) : « Tourisme et développement des régions intérieures. Cas de la région du Haut Tell »
10h30 : Discussion
11h00 : Pause café
Accès aux ressources
Président : Hassen BOUBAKRI, (Université de Sousse)
Rapporteur : Evelyne MESCLIER, (IRD, UMR PRODIG)
11h20 : Salma ZOUARI, Ines AYADI et Abdessalem GOUIDER, (Université de Sfax) :
« Les inégalités territoriales de l’offre de soins en Tunisie »
11h40 : Tahar DHAHBI, (Doctorant en géographie (FSHS Tunis) : « Une typologie des paysages socio-sanitaires dans le Grand Tunis »
12h00 : Sofien ALOUI, (Département de Géographie, Institut des Sciences Humaines de Jendouba) : « Territorialisation par l’eau et inégalités socio-spatiales : le cas de la plaine de Jendouba au Nord-Ouest de la Tunisie »
12h20 : Discussion
12h50 : Déjeuner
Gouvernance des territoires
Présidente : Salma ZOUARI, (Université de Sfax)
Rapporteur : Patrick BLIN, (IEP Lyon)
14h00 : Sami Yassine TURKI, (Institut Supérieur des Technologies de l’Environnement, de
l’Urbanisme et du Bâtiment, Tunis) : « Gouvernance territoriale en Tunisie pendant la période de
transition : de la difficulté du quotidien à la fabrication d'un projet de décentralisation »
14h20 : Maher BEN REBAH,(UMR U557 Inserm/U1125 Inra/Cnam/Univ. Paris 13) : « Au-delà de l'équilibre régional : Territoires, développement et démocratie en Tunisie »
14h40 : Chiraz GHOZZI-NEKHILI et Emna GANA-OUESLATI, (Institut Supérieur de
Comptabilité et d’Administration des Entreprises, Tunis) : « Gouvernance territoriale de la stratégie de développement durable : Analyse des agendas 21 locaux tunisiens »
15h00 : Discussion
15h30 : Pause café
Stratégies associatives
Président : Maher BEN RABEH, (Université Paris 13)
Rapporteur : Sami Yassine TURKI, (ISTEUB)
16h00 : Patrick BLIN, (IEP Lyon) : « L’islam politique à l’épreuve de la gouvernance locale :
les expériences du Maroc et de la Turquie »
16h20 : Emna MENIF, (Présidente de l’Association Kolna Tounes) : « Problématiques du
développement : une lecture à l’épreuve du terrain »
16h40 : Faouzi FAKHET et Abdelkader Ben FADHLA, (Association Tunisienne de Développement Durable) : « Approche et actions en faveur des régions »
17h00 : Discussion
17h30 : Présentation des rapports de synthèse : Jean-Louis CHALEARD, Evelyne MESCLIER, Patrick BLIN, Sami Yassine TURKI
18h00 : Perspectives et clôture
Séminaire international co-organisé par l’Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain
(IRMC), Tunis, et le GIS Collège International des Sciences du Territoires, Université Paris- Diderot.
Coordination scientifique : Alia Gana (CNRS, IRMC), Evelyne Mesclier (IRD, UMR PRODIG) et Jean-Louis Chaleard (Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne, UMR PRODIG)
L’agriculture est au coeur d’enjeux majeurs pour les territoires : fonciers, économiques, sociaux, environnementaux. Les crises agricoles et environnementales comme les demandes sociales par rapport à l’espace rural et à l’alimentation (sécurité alimentaire et qualité des produits) interrogent fortement les modèles de développement de l’agriculture et leurs bases socio-territoriales. Dans le double contexte de la mondialisation et de l’émergence des problématiques de développement durable, des processus contradictoires caractérisent aujourd’hui les transformations des systèmes agro-alimentaires et les dynamiques territoriales qui les accompagnent. D’un côté, les exigences de la libéralisation des marchés entraînent un processus d’intensification accrue des systèmes de production (dans certains contextes leur extensification), d’agrandissement et de concentration des exploitations et renforcent la pression sur les ressources et les écosystèmes. Cette tendance, renforcée par le mouvement d’acquisition foncière à l’échelle mondiale (land grabbing), favorise une hyperspécialisation des systèmes agricoles, la consolidation de monopoles « territorialisés » de rente et contribue à la « désertification » de certains espaces ruraux, une urbanisation rapide autour des villes et des écarts de plus en plus marquées entre les territoires.
D’un autre côté, les demandes sociales en matière de qualité des produits et de cadre de vie et les exigences des nouvelles fonctions environnementales assignées à l'espace rural favorisent, dans certains contextes, l’émergence de pratiques agricoles innovantes, voire la revalorisation de formes paysannes, et la défense d’une agriculture péri-urbaine, voire urbaine. Ces dynamiques s’inscrivent dans une perspective de construction de territoires préconisant la diversification des activités économiques, comme moyen de création d’emplois et de lutte contre la pauvreté, de permanence de terres agricoles ainsi que de nouveaux modèles de valorisation des ressources de l'espace plus soucieux de la gestion du foncier agricole associée à des facteurs environnementaux. Prenant des formes différentes au Nord et au Sud, mais entretenant aussi d’étroites relations, la restructuration des activités productives et de commercialisation, la réorientation des politiques d’aménagement de l’espace et de développement, ainsi que les réorganisations institutionnelles auxquelles elles donnent lieu, conduisent à une recomposition des territoires à différentes échelles. Celle-ci s’exprime dans des mouvements contradictoires de déterritorialisation/ reterritorialisation des activités agricoles, de marginalisation/intégration d’espaces productifs, de diversification/spécialisation des systèmes de production, de concentration/morcellement des exploitations, d’inscription dans les marchés internationaux/consolidation de marchés locaux. Dans les pays du sud, plus particulièrement en Afrique du Nord, les crises alimentaires générées par l’explosion des matières premières agricoles, les émeutes de la faim auxquelles elles ont donné lieu, en Égypte et au Maroc notamment, interrogent fortement les stratégies de développement qui soumettent l’approvisionnement alimentaire des populations aux aléas du marché mondial, contribuent à la marginalisation économique et sociale de larges fractions de la population rurale et accroissent les disparités entre les territoires. En conférant à la question alimentaire et à celles liées aux inégalités territoriales une dimension éminemment politique, la révolution tunisienne et les mobilisations sociales auxquelles elle a donné lieu, y compris dans le monde rural et agricole, réinterrogent les fonctions sociales et spatiales de l’agriculture et son rôle dans le développement territorial. Alors qu’en Tunisie, les principaux foyers de la révolte populaire sont des régions intérieures à dominante rurale et que les mobilisations d’agriculteurs et de ruraux revendiquant un meilleur accès à la terre et à l’eau ne fléchissent pas, les analyses des bouleversements sociopolitiques en cours, ainsi que le débat public et politique, n’accordent qu’une attention limitée à la question agricole et à ses enjeux territoriaux. Les programmes des partis politiques restent en général silencieux sur le rôle susceptible d’être joué par l’agriculture dans la réduction des inégalités territoriales. De même les orientations préconisées par le gouvernement provisoire ne permettent pas d’identifier une rupture d’avec les modèles de développement précédents, générateurs de dépendance alimentaire, d’exclusion sociale et de marginalisation des territoires.
A partir d’une confrontation d’analyses et d’expériences issues de différents pays, ce séminaire propose de développer une réflexion sur les enjeux territoriaux de l’agriculture et d’en tirer des enseignements pour la définition d’options de développement agricole et d’aménagement du territoire susceptibles de répondre aux aspirations de justice sociale et spatiale exprimées dans les pays du « printemps arabe ». La réflexion proposée s’articulera autour des axes thématiques suivants :
8h45 : Ouverture
Président Bernard Roux
9h00-9h20 : Mohamed Elloumi, Chercheur, INRAT, « Les origines de la révolution tunisienne: crise de l’agriculture familiale et des territoires »
9h20-9h40 : Alia Gana, CNRS, IRMC, « Les dimensions agricoles et alimentaires de la crise politique en Tunisie »
9h40-10h : Mohamed Salah Bachta, Professeur, INAT « Politiques agricoles et disparités régionales en Tunisie »
10h-10h30 : Discussion
10h30-11h : Pause café
Président :11h00-11h20 : Evelyne Mesclier et Jean Louis Chaleard « Investissements fonciers et transformation des territoires: études de cas au Pérou et en Côte d'Ivoire »
11h20-11h40 : NejibAkesbi, « La dimension territoriale dans la nouvelle stratégie agricole marocaine » (Plan Maroc Vert).
11h40-12h00 : Omar Bessaoud (en attente de confirmation)
12h-12h30 : Discussion
12h30-14h : Déjeuner
14h00 : Rejeb Hichem et Hammami Saida, « Territoires de projets de l’agriculture périurbaine en Tunisie : entre fragilisation et capacités de résistances des agriculteurs »
14h20-14h40 : Laurence Grandchamp Florentino, « L'autonomie alimentaire de la communauté urbaine de Strasbourg, une utopie? »"
14h40-15h00 : Christophe Soulard, géographe à l’INRA, directeur de l'UMR Innovation, Montpellier, « Assiste t-on à un renforcement des liens entre les villes et leurs agricultures en Méditerranée? » Premiers résultats d'un projet de recherche comparatif entre Constantine, Lisbonne, Meknès, Montpellier et Pise (projet ANR DAUME)
15h-15h30 : Discussion
15h30-16h: Pause café
16h-16h20 : Irène Carpentier, IRMC, « La valorisation patrimoniale de l’agriculture oasienne »
16h20-16h40 : Bernard Roux, « Le Système agroalimentaire localisé (SYAL): un concept pour l'analyse du développement local dans les zones rurales. Application au cas d'un SYAL en Languedoc Roussillon »
16h20-17h : Leith Ben Becher, Syndicat National des Agriculteurs (Tunisie), « Les organisations professionnelles agricoles et l’action en faveur des territoires »
17h-17h20 : Denis Pommier, « L’initiative ENPARD »
17h20-17h40 : Discussion
17h40-18h : Synthèse
9h-12h00 : Réunion/débat avec les représentants d’organisations professionnelles agricoles et d’associations de développement (Centre Temimi, Zaghouan)
Déjeuner et visite du site de Thuburbo Majus
Après-midi
15h-17h : Visite du groupement de femmes de Oued Sbaihya
Lieu : Tunis, hôtel Sidi Bou Saïd