Colloque international organisé par l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain avec la collaboration de l'Institut français de Tunis et l'Institut Tunis-Dauphine, en partenariat avec l'Association tunisienne de droit constitutionnel (ATDC), l'IRISSO (Paris‐Dauphine), le CRPS (Paris 1 Panthéon‐Sorbonne), l'IREMAM (Aix‐Marseille), le Centre Maurice Halbwachs (École normale supérieure), le Centre Emile Durkheim (IEP Bordeaux), le Centre universitaire rouennais d'études juridiques.
L'élection en octobre 2011 d'une Assemblée nationale constituante a contribué à placer le droit au coeur du processus de changement politique en Tunisie. Les débats publics ont donc logiquement pris la forme de débats juridiques et les luttes partisanes celle d'une compétition sur la détermination du contenu du texte constitutionnel. Les spécialistes de droit public, d'ailleurs dès la nomination de la commission supérieure de la réforme politique, présidée par Yadh Ben Achour, se sont vus reconnaître une position éminente d'expert de la « transition ». Acteurs politiques et médiatiques, commentateurs et juristes ont ainsi requalifié juridiquement l'ensemble des questions politiques et sociétales qui sont apparues sur la scène publique : droits des femmes, place de l'islam dans la vie politique, financement des partis politiques, etc.
Tout processus de changement de régime requiert un travail sur le droit. Redéfinir les contours des pouvoirs et leurs relations, façonner de nouveaux rôles politiques, spécifier la nature et le périmètre des acteurs politiques légitimes, organiser des élections, toutes ces tâches fréquemment observables dans des contextes de passage à la démocratie, suite à l'effondrement d'un régime autoritaire, requièrent des actes de droit. Il n'y a pourtant rien de naturel à focaliser autant l'attention sur les textes juridiques et rien d'évident à ce que les spécialistes du droit soient aussi sollicités au cours d'une telle conjoncture.
Comment s'explique cette focalisation sur le droit ? Quelles formes prend-t-elle ? Comment l'expliquer ? Quels effets a-t-elle sur la forme prise par le processus de changement politique ? Que révèle cette juridicisation sur la politique tunisienne et sur le processus de démocratisation dans ce pays ? Ces interrogations incitent à formuler une série de problèmes qui interrogent les relations entre droit et politique au cours d'une crise politique et/ou d'un processus de changement de régime :
la question des logiques sociales, historiques, académiques et politiques qui contribuent tout à la fois à constituer le droit en enjeu politique de premier ordre et à reconnaître aux spécialistes du droit un rôle éminent ;
la question des logiques de production du droit : modalités de travail constituant, processus de juridicisation de la vie politique (loi électorale, législations sur l'argent politique, etc.).
la question des usages politiques du droit, qui sont repérables au coeur même des processus codificateurs, mais aussi et surtout, une fois le droit déjà-là : comment les acteurs interprètentils, s'approprient, contournent, détournent les textes constitutionnels et législatifs ? Quels intérêts poursuivent-ils ? A ce type de questionnement, peut être rattachée la question des mobilisations associatives et politiques qui s'appuient sur le droit ou bien qui défendent des causes dans un langage juridique : ainsi des mobilisations contre la peine de mort, par exemple, qui profitent de la fenêtre d'opportunité ouverte par la conjoncture critique.
celui des rapports au politique des acteurs juridiques : avocats, juristes, magistrats... A quoi se rattache le problème de la réforme des institutions judiciaires et des différentes entités qui sont chargées d'appliquer et de dire le droit.
Le colloque s'ouvre aux spécialistes des autres pays arabes, mais aussi au-delà (Europe occidentale et orientale, Amérique latine, etc.). Les importants enjeux soulevés par les interrogations ci-dessus appellent à des comparaisons dans le temps et l'espace, de façon à opérer un véritable décentrement du regard et ne pas orienter le discours académique dans l'impasse de la singularité singularisante. Inversement, l'expérience arabe de la révolte et du changement politique offre une occasion évidente d'intéresser les spécialistes des phénomènes juridiques et de contribuer à la connaissance générale des rapports entre droit et politique au cours d'une conjoncture fluide.
Programme
Vendredi 20 juin 2014
9h00-9h30 : Introduction
Karima DIRECHE (directrice de l'IRMC) : mot d'accueil Jérôme HEURTAUX (IRMC) : Le droit : instrument, vecteur et révélateur d'un changement de régime ?
9h30-12h30 Axe 1 : La fabrique des constitutions Modération : Karima DIRECHE, Ghazi GHRAIRI
Bastien FRANÇOIS (CRPS, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : Ce que fabriquer une constitution veut dire dans une conjoncture critique Myriam AÏT-AOUDIA (Centre Emile Durkheim, Institut d'études politiques de Bordeaux) : Les paradoxes de la fabrication constitutionnelle en situation de crise politique : urgence, incertitude et conflits d'interprétation (Algérie 1989) Jean-Philippe BRAS (Centre universitaire rouennais d'études juridiques, Université de Rouen) : Légitimité et mécanique des fluides: le processus constituant tunisien Imen-Amandine HAFSAOUI (Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence) : La fabrique de la constitution tunisienne à travers l'observation des commissions constitutionnelles. L'exemple des références au sacré et à la liberté de conscience. Alexis BLOUET (École doctorale droit comparé, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : La crise égyptienne de la proclamation constitutionnelle du 21 novembre 2012 : un cas de politisation du droit pluridimensionnelle
Liora ISRAËL (Centre Maurice Halbwachs, École normale supérieure) : Le rôle de la justice dans les changements de régime : pour une critique des approches en termes de "justice transitionnelle" Kora ANDRIEU (Haut commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme à Tunis) : Entre légalité et légitimité : les usages politiques et moraux du droit au sein de la justice transitionnelle Éric GOBE (IREMAM, Aix-en-Provence) : Complexe juridique et mobilisations professionnelles : avocats et magistrats dans la Tunisie post-Ben Ali
17h-19h30 Axe 3 : Quel rôle des juristes dans la transition ? Modération : Jérôme HEURTAUX, Éric GOBE
Ghazi GHRAIRI (Secrétaire général de l'académie internationale de droit constitutionnel, ancien porte-parole de la Haute instance) Farhat HORCHANI (Président de l'Association tunisienne de droit constitutionnel) : Les juristes dans la Haute instance Salwa HAMROUNI (Maître de conférences agrégée en droit public) : Le rôle de l'ATDC dans les processus politiques Ridha JENAYAH (Professeur de droit à l'Université de Sousse) : La sous-commission médias de la Haute instance et l'esprit de la révolution Wahid FERCHICHI (Professeur de droit, président de l'Association tunisienne de défense des libertés individuelles)
Samedi 21 juin 2014
9h30-12h30 Axe 4 : Usages politiques du droit et mobilisations juridiques Modération : Farhat HORCHANI, Liora ISRAËL
Vanessa BERNADOU (IRISSO, Université Paris-Dauphine) : Sortir de la crise par les élections: marchandages et contingences juridiques autour de l'anticipation de l'élection présidentielle argentine de 2003 Jérôme HEURTAUX (IRMC) : De quelques usages politiques du droit en Pologne postcommuniste Deborah PEREZ (École normale supérieure) : « Faire son droit » à l'Assemblée Nationale Constituante tunisienne ? où le droit devient un enjeu de légitimation et de professionnalisation politique Yasmine BOUAGGA (École des hautes études en sciences sociales) : Usages politiques des droits de l'homme : la formulation d'un « problème » des prisons en Tunisie Nourredine AMARA (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : 1830-1890. Le droit et ses transactions historiques : les revendications en nationalité française d'Amina Hanem, fille du dernier Dey d'Alger