Le créationnisme est une théorie en vertu de laquelle le monde naturel et social n'est pas le produit de l'évolution, mais bien celui de l'œuvre divine. Cette théorie a pris des formes très variées qui sont fonction, entre autres, des contextes religieux de leur formulation. Toutes ont en partage le rejet catégorique du darwinisme, compris le plus souvent dans sa vulgate tronquée et son extension abusive. Leur ambition vise à prouver que la science, loin de contredire et de s'opposer à la religion, la confirme.
Dans cette démarche, le créationnisme adopte un raisonnement de type syllogistique : la révélation divine est vérité ; la bonne science confirme cette vérité ; la révélation divine est donc attestée scientifiquement. Deux ordres vérédictionnels sont, de la sorte, mobilisés simultanément et leur convergence débouche sur leur renforcement réciproque.
Adnan Oktar, alias Harun Yahya, est une figure de proue du créationnisme musulman. Né à Ankara en 1956, il est principalement connu pour sa campagne contre le darwinisme. En 2006, il publia un Atlas de la création, qui fut distribué très largement en Europe et en Amérique du Nord, entre autres dans les écoles, et attira la réprobation des communautés scientifiques et scolaires. Son site web héberge de nombreux textes et documentaires portant sur des sujets très variés, des sciences naturelles aux questions de société, en passant par l'histoire et l'archéologie. Au titre de ces documentaires, on retrouve « Evidence of the true faith in historical sources » (La preuve de la vraie foi dans les sources historiques), objet de notre analyse. C'est une petite production audiovisuelle qui, à partir de quelques dossiers archéologiques, cherche à démontrer que la vérité coranique précède la science, mais est également prouvée par elle.
Dans cet article, nous ne nous intéresserons pas tant à démontrer la fausseté des thèses créationnistes qu'à démonter leurs mécanismes argumentatifs. Autrement dit, ce n'est pas le statut véridique des affirmations qui nous retiendra que leur capacité à produire un effet vérédictionnel. Cela suppose d'examiner l'organisation des deux répertoires argumentatifs et, particulièrement, ce qui, dans chacun d'eux, produit un effet de preuve et accède à un statut d'autorité. Cela implique aussi d'observer comment ces répertoires peuvent être rabattus l'un sur l'autre en sorte de redoubler leurs effets probatoires et autoritaires respectifs. Enfin, cela permet d'identifier ce que ce double répertoire permet comme « sauts argumentatifs », c'est-à-dire comme passages subreptices d'un répertoire à l'autre.
Par Baudouin Dupret directeur de recherche au CNRS et directeur du Centre Jacques Berque