Ludmila Kuznetsova (L'université d'État de Perm) interviendra sur le thème «Le soin comme la tentation: la politique sociale du loisir».
La révolution a amené le pouvoir soviétique à se pencher sur la question de la nécessité d'une « refonte » soviétique de tous les domaines de la vie, aussi bien dans la forme que dans le fond. Le détente et les loisirs devaient aussi devenir soviétiques et servir à la formation de « l'homme nouveau ». Les stations thermales et autres lieux de cure étaient, dans cette perspective, vus comme étroitement liés aux plaisirs hédonistes. En conséquence, les autorités soviétiques tentèrent de les débarrasser de leur image « bourgeoise ». Est alors apparu un nouveau genre d'expériences pour rendre le concept de station thermale plus conforme aux nouveaux principes apportés par la révolution.
La principale préoccupation était qu'il fallait que la station thermale soit réservée aux services de rééducation médicale. En effet, le séjour dans les stations n'était alors pas considéré comme une plage de repos, mais plus comme un moyen d'améliorer les performances du peuple soviétique afin qu'il travaille mieux pour servir l’État. Toute la politique sociale des loisirs dans les années 1920 suivait cette tendance : pour aller dans une station thermale, il fallait tout d'abord être malade, et dans un second temps il fallait confirmer son origine prolétarienne et son appartenance à la classe ouvrière.
Le discours sur le rôle des stations thermales a fortement changé dès la deuxième moitié des années 1930. Cela s'est produit en parallèle avec les changement politiques du gouvernement soviétique (ce qu'on appelle le « grand écart »). Le processus de formation d'une classe moyenne soviétique loyale envers le pouvoir a commencé au milieu des années 1930. De nouvelles valeurs culturelles et sociales ont été proposées à la société soviétique, dont beaucoup dataient d'avant la révolution. En légitimant une vie prospère, aisée, loin des soulèvements révolutionnaires et des difficultés pratiques, les autorités soviétiques ont tenté de conserver ou d'acquérir un large soutien populaire.
Les stations thermales ont de nouveau représenté, comme avant la révolution, un lieu de vacances de luxe. De plus, de telles vacances étaient devenues une récompense pour des citoyens accomplis tels que les stakhanovistes, les travailleurs méritants et les agriculteurs, les pilotes, militaires et personnalités de la science et de la culture. La notion de soin a également changé : à partir de ce moment, il s'agissait d'un soin octroyé par un patriarche bienveillant à ses enfants-citoyens de l'Union soviétique. Le soin s'est incorporé d'une composante émotionnelle, est devenu moins formel. Il était perçu comme un genre particulier de relation (entre les citoyens comme receveurs de soin et les autorités comme acteur de ce soin), relation qui forme un lien affectif entre les autorités et la partie loyale de la société.
Cette évolution dans le discours du soin et dans l'image de la station thermale soviétique (dans un contexte de changement de politique sociale) dans les années 1920-1930 complète le tableau des grands changements socio-politiques et culturels du paysage soviétique.
Lieu : DHI Moskau, salle de conférence de l'institut historique allemand de Moscou, 3e étage, INION