Date de publication:
Jeudi 18 Octobre 2012 - 11:44
Publié ici :
18 Octobre 2012Mis à jour le :
22 Juin 2017Mots-clefs:
- mobilités
- migrations internationales
- diplomés
- Maroc
- Maghreb
- migrations
Zone géographique:
- Moyen-Orient
Retourner ou pas : de la mobilité internationale des diplômés marocains des grandes écoles
La question des migrations internationales des hauts cadres, managers et autres dirigeants des pays du Sud a donné lieu à toute une littérature de caractère socioéconomique sur « l'exode des cerveaux ». Dans les années 1980, ces travaux expliquaient que des perspectives de carrière censées être peu attractives dans les pays d'origine des diplômés du Sud les incitaient à rester dans les pays du Nord. Le cas marocain illustre-t-il ce genre d'analyse ?
Un coup d'œil sur les statistiques tirées des annuaires de diplômés (en l'occurrence Polytechnique, Centrale et les Ponts et Chaussées) donnerait à penser que les taux de retour diminuent à partir des années 1990. Certes, les « Pontistes » marocains constituent un cas à part, dans la mesure où ils sont toujours massivement rentrés au pays pour aller peupler les services techniques du ministère de l'Equipement et du transport, ainsi que les directions des grandes entreprises publiques.
Pour les Centraliens et surtout les Polytechniciens, la problématique est différente et la mobilité géographique internationale marque leur carrière professionnelle, quand bien même ils rentreraient au Maroc. Un éventuel retour s'accompagne de manière quasi-systématique d'expériences professionnelles au moins binationales de longueur variable. Aussi la dichotomie retour/non retour se brouille-t-elle.
Pour autant, est-il possible de dégager certaines variables qui inscrivent l'ingénieur marocain des grandes écoles dans un type de trajectoire de mobilité géographique ? La réponse est positive. Il existe une corrélation entre le caractère international de la carrière et les origines familiales du diplômé, le prestige du diplôme n'effaçant pas toutes les différences sociales : ceux qui sont rentrés directement dès leurs études effectuées sont issus de familles rurales pauvres, peu scolarisées et uniquement arabophones. Ils ont épousé une Marocaine et fait toute leur carrière au Maroc. Le contraste est patent avec les « héritiers »[2] qui disposent de différents types de ressources et de dispositions à la mobilité internationale[3], quand bien même ils rentreraient au pays après avoir accumulé une expérience professionnelle en Europe (France, Angleterre) et/ou aux États-Unis. Le choix de la conjointe (nous avons surtout à faire à une population masculine) constitue également un facteur déterminant de la dichotomie retour/non retour : l'exogamie géographique – autrement dit avoir épousé une femme française ou étrangère – favorise les mobilités hors de France et limite les retours définitifs au Maroc.
Par-delà ces variables, force est de constater que les diplômés marocains des grandes écoles rentrent plus au pays que leurs homologues tunisiens. Certaines données socio-économiques fournissent une clé d'explication à ce constat. Certes, le Maroc et la Tunisie ont connu des processus similaires de privatisation et d'internationalisation de leurs économies susceptibles d'attirer leurs diplômés. Mais le premier, contrairement à la Tunisie, a vu se développer sur son territoire de grands groupes à structure conglomérale. Ces entités ont un actionnaire familial de référence, mais, contrairement aux PME familiales marocaines comme tunisiennes, elles ont la possibilité de proposer aux diplômés des postes de cadres dirigeants répondant à leurs aspirations.
Par Éric Gobe, chargé de recherche au CNRS et chercheur affecté au CJB
[1] Cet éditorial est issu d’une enquête conduite Catherine Marry, Françoise Chamozzi et moi-même en 2008-2009 sur les diplômés marocains et tunisiens de trois grandes écoles françaises. Pour tous les détails sur la constitution de l’échantillon et la méthodologie utilisée, voir mon habilitation à diriger des recherches, Jalons pour une sociologie des professions au Maghreb. Réflexions sur la genèse et la reproduction des groupes professionnels modernes, 2012, Paris, EHESS, p. 76.
[2] À la différence de leurs homologues français, les diplômés marocains des grandes écoles ne sont pas le produit d’une reproduction sociale exclusive. Si près de la moitié des membres de l’échantillon sont issus des élites économiques et culturelle du pays (les héritiers), un quart provient des classes moyennes et un autre quart est issu de milieux défavorisés avec des parents dont le niveau d’études est très bas (quelques années de primaire), voire analphabètes (ouvriers agricoles, maçons…).
[3] En premier lieu les ressources familiales : les pères incitent les enfants à parfaire leur pratique professionnelle par la mobilité internationale. Les diplômés héritiers pratiquent ainsi une forme de « grand tour », à l’image de celui effectué par les noblesses européennes de la période moderne, qui leur permet de se frotter à leurs homologues occidentaux. Formés dans le réseau scolaire du Maroc français, ils ont déjà eu l’occasion de familiariser avec les codes de sociabilité français et internationaux et maîtrisent une ou deux langues de plus que leurs homologues marocains d’origines plus modestes.
Par Éric Gobe, chargé de recherche au CNRS et chercheur affecté au CJB
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