Date de publication:
Lundi 16 Juin 2014 - 15:49
Publié ici :
16 Juin 2014Mis à jour le :
23 Juin 2017Mots-clefs:
- dialogue social
- société
- Maroc contemporain
- édito
Zone géographique:
- Moyen-Orient
Vous avez dit « dialogue social » ?
La veille du 1er mai, fort opportunément, le ministre de l’Emploi et des affaires sociales, Abdesslam Seddiki, annonce une augmentation du SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti) de 10%, à partir du 1er juillet 2014 pour les salariés du secteur public et, en deux temps pour ceux du privé. Cette mesure est présentée comme le « couronnement d’un ultime round de dialogue social » (AtlasInfo.fr, 1ermai 2014), « une décision qui fait suite à de longs débats et à une avancée importantes des négociations » (l’Usine nouvelle, 5 mai 2014). Cette couverture médiatique contraste avec celle qui, moins d’un mois auparavant, dépeignait un climat délétère, n’hésitant pas à annoncer que le dialogue social était « au point mort » (Challenges 4-10 avril), quand il n’était pas purement et simplement « mort » (Akhbar al-Youm, 6 avril).
Il est vrai que l’ironie affleure toujours quand on se livre à l’exercice facile de la comparaison diachronique des contenus journalistiques mais relevons juste l’amusante idée qui se donne à lire, à savoir que le dialogue social est susceptible de résurrections aussi rapides que miraculeuses. Toute autre est l’impression qui ressort d’une lecture synchronique. Si l’on prend par exemple, différents journaux, le même jour, au hasard, le 2 mai, la grille de lecture est bien différente : plus modérée pour ne pas dire pessimiste, plus mitigée pour ne pas dire critique. Ainsi, Le matin du Sahara et du Maghreb mentionne des « syndicalistes insatisfaits » et considère que « la bataille du SMIG n’est ni perdue ni gagnée » ;Libération fait état des réactions des syndicalistes et du patronat qui « s’élèvent contre les décisions unilatérales du gouvernement » et parle de « grande déception » ; Al-Khabar reprend le communiqué des trois centrales syndicales qui stipule que « les propositions gouvernementales ne satisfont pas les attentes minimales de la classe ouvrière et des salariés en général » ; enfin, L’opinion relève que l’UGTM dénonce « l’indigence des décisions gouvernementales». Du côté du patronat, l’hebdomadaire Maroc hebdo (9-15 mai), cite Salaheddine Kadmiri, vice-président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), selon lequel « la hausse du SMIG est une décision prise unilatéralement par le gouvernement […] elle aggrave encore davantage la compétitivité des entreprises ».
Au final, c’est un bien curieux dialogue social que celui-ci : aucun des partenaires sociaux ne semblent en retirer satisfaction mais surtout il accouche d’une décision qui est moins le produit d’une concertation qu’une application tardive d’engagements passés. En effet, l’augmentation du SMIG était un des points de l’accord-cadre conclu le 26 avril 2011 entre les centrales syndicales et le précédent gouvernement d’Abbas Al Fassi et repris dans le programme du PJD lors des élections législatives de 2011. La méthode est révélatrice de la conception gouvernementale du dialogue social. C’est d’abord lors d’une réunion en avril 2014 avec le CGEM que le chef du gouvernement demande à cette dernière « de concéder une hausse minimum de 10% du SMIG » (L’Economiste, 22 avril 2014). Moins d’une semaine plus tard, au cours de la réunion avec les syndicats et le patronat du 25 avril, il annonce l’adoption de la décision et renvoie toutes les autres demandes à de futures discussions (L’Economiste, 28 avril 2014). De dialogue il y eu bien peu, d’annonce gouvernementale voilà ce dont il était question.
Pour autant le constat d’unilatéralisme et l’analyse en termes de « fait du prince » doivent être nuancés. Non seulement parce que la temporalité doit être prise en compte mais également parce que les acteurs impliqués sont loin d’avoir été passifs. S’il serait fastidieux de rendre compte de toutes les concessions accordées au patronat et difficile de repérer avec précision les modalités d’influence de ce dernier, il est, en revanche, plus simple de revenir sur l’activisme syndical. A ce sujet, il est peu de dire que la saison 2014 du feuilleton des revendications syndicales a connu une montée en puissance narrative.
(...)
Par Assia Boutaleb, chercheure au CJB
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