Date de publication:
Mardi 03 Mars 2015 - 15:42
Publié ici :
03 Mars 2015Mis à jour le :
24 Juin 2017Mots-clefs:
- billet
- édito
- religion
- Maroc
- CJB
- politique
Zone géographique:
- Moyen-Orient
Les ambiguïtés de la politique religieuse marocaine
En plein guerre contre le terrorisme au Sahel, le Maroc s'est particulièrement distingué par son action en faveur de la promotion d'une certaine forme de l'islam dans cette région du monde en faisant don de 10.000 exemplaires du Coran aux croyants du peuple malien, tout en se montrant prêt à accueillir les imâms et de leur dispenser une formation aux fonctions d'encadrement de leurs fidèles. En effet, un programme de formation des imâms a été mis en place depuis 2013 pour accueillir des centaines de candidats. Ce programme a bénéficié, parait-il, d'une certaine audience auprès d'un certain nombre de pays africains comme la Guinée, la Côte d'Ivoire, le Niger, le Gabon, les Maldives, la Tunisie et la Libye.
Par ailleurs, un grand centre de formation des imâms devrait voir le jour sous peu. Désormais, l' « islam marocain » est devenu un produit destiné à l'exportation vers les pays africains. Il serait, peut-être, plus avantageux de le réintroduire sur le « marché religieux » européen via les imâms marocains qui auront pour mission de « marocaniser » l'islam européen, alors même qu'en France, de plus en plus de voix s'élèvent pour réclamer un Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) indépendant des officines marocaines et algériennes. Examinons donc d'un peu plus près cet islam marocain institutionnel qui se présente comme un modèle.
Après les attentas de Casablanca (2003)
Dans le discours prononcé à l'occasion de la fête du Trône du 30 juillet 2003 à la suite des attentats survenus à Casablanca le 16 Mai de la même année, le Roi Mohamed VI a pris une position tranchée sur la question religieuse en prônant un islam marocain. « Nos ancêtres, dit-il, ont édifié une civilisation islamique et un Etat indépendant du califat du Machrek, se distinguant par son attachement à la commanderie unique des croyants, par son ouverture en matière de culte et par l'exclusivité du rite malékite ». Un peu plus loin dans le même discours, on peut lire cette interrogation qui sonne comme une affirmation « Est-il donc besoin pour le peuple marocain, fort de l'unicité de son rite religieux et de l'authenticité de sa civilisation, d'importer des rites cultuels étrangers à ses traditions ? Nous ne le tolèrerons pas, d'autant plus que ces doctrines sont incompatibles avec l'identité marocaine spécifique ». Il s'agit donc d'un islam territorialisé, selon le terme de Mohamed Ayadi. Mais il ne suffit pas de nommer la chose, car il est encore plus intéressant d'en saisir le sens ou la visée à la lumière des processus de sa mise en œuvre dans les différents domaines de la vie sociale. Dans le domaine de l'éducation par exemple, il se révèle, à travers l'analyse des manuels scolaires, comme étant le paradigme principal qui structure et dirige les mentalités contre tout ce qui est incompatible avec le fondamentalisme orthodoxe. D'où la prolifération des attitudes d'intolérance et de discrimination à l'égard des femmes et des personnes d'une autre religion ou conviction, jointes à un prosélytisme agressif. En effet, le curriculum formel et enseigné est loin de favoriser le développement des compétences de raisonnement et de l'esprit critique qui peuvent immuniser les jeunes contre l'extrémisme religieux. Comment peut-on vouloir officialiser un islam marocain ouvert et tolérant après avoir formé des générations d'élèves sur des bases de refus de l'autre et d'intolérance, sans jamais avoir sérieusement mis en cause cet enseignement et ses supports ? Ce n'est qu'après ce long processus de formatage des esprits à la pensée fondamentaliste orthodoxe que le ministère des Affaires islamiques et des Habous est intervenu, de manière trop tardive et trop hésitante, pour proposer une panoplie de mesures considérées comme préventives. L'une de ces mesures consiste à réviser des passages choquants des manuels scolaires, qui ne sont pas adapté à la noble profession de foi du souverain, promoteur d'un islam ouvert et tolérant. Une autre mesure concrète mais plutôt symbolique consiste en la fermeture de plus de 60 écoles de « Dar al-Qur'an ». Cette mesure est mise en application depuis 2008. Il s'agit des écoles d'enseignement traditionnel du Coran et du hadith mises en place par une figure emblématique du mouvement salafiste marocain : Mohamed al-Maghraoui. Celui-ci est considéré comme l'un des grands cadres de la salafia au Maroc, formé d'abord à l'école marocaine puis en Arabie-Saoudite, qui se réclame d'un islam « authentique » remontant directement aux « pieux ancêtres » (salaf). Maghraoui c'est alors profondément imprégné de la doctrine wahhabite qui ne reconnaît que le Coran et la Sunna comme sources de jurisprudence, à travers le prisme conservateur du hanbalisme[4]. En se réclamant de ce courant, Maghraoui cherche à s'emparer d'une partie du champ religieux, ce qui le met directement en conflit avec le ministre Ahmed Toufiq, affilié à la zaouïa boutchichia. D'ailleurs, faut-il rappeler que Maghraoui s'est souvent attaqué publiquement au soufisme qu'il considère comme une hérésie ? Mais la décision de fermeture des 67 écoles coraniques est survenue suite à la fameuse fatwa de autorisant le mariage des filles à partir de l'âge de 9 ans. Maghraoui n'est qu'un exemple d'une génération de salafistes formés à l'école à la fois marocaine et wahhabite.
(...)
Par Aziz Hlaoua
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