Par Marc Lavergne, Directeur du Cedej - Le Caire/Khartoum

Article déposé dans halshs, le 16 février 2011.

A peine la place Tahrir nettoyée des témoignages de sa geste héroïque, se posent des interrogations sur la nature et les objectifs du pouvoir en place : l'Égypte a-t-elle vraiment tremblé, est-elle vraiment entrée dans une phase nouvelle de son histoire ou bien le soulèvement n'aura-t-il été que l'occasion d'un réajustement nécessaire des formes d'exercice du pouvoir, sans qu'aucune perspective réaliste de refondation d'un pacte social à court terme n'ait été dégagé ? Deux acteurs majeurs occupent désormais les premiers rôles : l'armée et les Frères musulmans, qui, les uns comme les autres, ont beaucoup à perdre dans la satisfaction des aspirations exprimées depuis deux semaines.

« L'Egypte entre dans une nouvelle ère ». Certes, l'hommage rendu aux jeunes qui ont lancé ce mouvement et l'ont conduit à son terme, avec une détermination sans égale, et un sens des rapports de force psychologiques, sur la scène intérieure comme mondiale, qui est proprement sidérante, est mérité. Ces rapports de force étaient en effet, au premier regard très défavorables, et le demeurent.

En effet, dès le lendemain du succès de la journée de la Police, le président Moubarak a fait appel à deux proches pour reprendre la situation en mains : le général Omar Sulaiman comme le général Ahmed Chafik étaient des hommes de confiance, et d'une envergure personnelle qui pouvaient leur permettre d'engager les réformes institutionnelles qui semblaient les concessions minimales et inéluctables : une manière de réparer le torpillage des élections législatives de novembre 2010 par les jeunes écervelés du PND, qui avaient tiré des urnes vides une Chambre introuvable.

La bande à Gamal emmenée par Ahmed Ezz, le roi du fer à béton et ses nouveaux mafieux avait montré là sa méconnaissance périlleuse des délicats équilibres locaux, et de l'état de l'opinion, frustrée une fois de trop, de ces « élections sans électeurs ». Il
s'agissait de redresser d'urgence la course folle du navire vers l'écueil des élections présidentielles de novembre 2011. Déjà plus de sauver la famille Moubarak, mais la caste au pouvoir, coalition d'intérêts de plus en plus divergents, secouée par les
jeunes barons de la mondialisation, impatients de se partager les dernières dépouilles de l'Etat et les rentes externes sans être tracassés par les islamistes de tout poil d'un côté et par les derniers défenseurs de l'Etat de l'autre.

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