Date de publication:
Mardi 05 Mars 2013 - 10:22
Publié ici :
05 Mars 2013Mis à jour le :
23 Juin 2017Mots-clefs:
- édito
- télévision
- Turquie
- Maghreb
- langue arabe
Zone géographique:
- Moyen-Orient
Invasion de séries turques
La diffusion de la série turque Gümüş sur MBC en 2008 a déclenché une avalanche de séries turques sur les télévisions arabes. Cette histoire d’amour entre un jeune homme riche dont la petite amie vient de mourir s’apprêtant à épouser une jeune fille de la campagne proposée par son père a provoqué un véritable séisme médiatique dans les pays du Maroc au Bahreïn, réunissant plus de 85 millions de téléspectateurs lors de la diffusion du dernier épisode le 30 août 2008. Depuis, les séries turques déferlent sur les écrans du Maghreb et du Moyen-Orient. En 2010, plus de 70 séries ont été vendues à l’étranger, rapportant à la Turquie plus de 50 milliards de dollars. Ce marché fructueux en plein développement semble décidé à s’imposer car en 2011, les 10 500 heures de fictions exportées dans 76 pays ont rapporté à la Turquie 68 milliards de dollars de recettes.
Les publics arabes, du Maroc au Bahreïn, constituent un bassin linguistique de 350 millions de téléspectateurs. Cet immense marché est pour les producteurs et les studios de doublage une mine d’or, c’est pourquoi, il faut offrir à ces publics des produits répondant à leurs attentes. En effet, les téléspectateurs arabes sont de grands consommateurs de feuilletons télévisés depuis les premiers feuilletons égyptiens des années 1950-60 créés par la télévision étatique.
C’est en tant qu’adeptes de ces programmes télévisés que ces publics se montrent très réceptifs à l’égard des fictions turques. Pour Hulya Tanriover Ugur ce phénomène est dû aux capacités des séries à faire la promotion de la Turquie « au travers de ces séries, nos voisins découvrent non seulement des histoires, mais aussi la Turquie ». Cette question de la représentation, en ce qu’elle attribue aux images des séries télévisées une fonction de médiatrice, est centrale dans le succès des séries turques. Avec des vues à répétition sur le Bosphore d’Istanbul, Ask-ı memnu et autres ravissent les téléspectateurs arabes qui découvrent grâce à elles une Turquie moderne, occidentalisée mais aussi traditionnelle dans laquelle vivent des familles musulmanes. Cette exhibition de la ville d’Istanbul dans les fictions télévisées a permis à la ville de voir arriver de nouveaux touristes : les riches téléspectateurs arabes affluent dans l’ancienne Byzance pour visiter les maisons de Noor et Muhamad. Ainsi, certains sont prêts à débourser jusqu’à 60 livres turques, soit presque 30 euros pour visiter les lieux de tournage de leur série préférée.
Au Maroc, l’invasion des séries turques est frappante : dvds piratés en vente à chaque coin de rue, discussions quotidiennes et surtout, diffusion massive sur la deuxième chaîne nationale, la TV2M. Initialement une chaîne privée relevée de ses difficultés financières grâce à l’État au début des années 1990, TV2M a compris et mis à profit les opportunités que proposent les séries télévisées en termes de publicités, de régularité de programmation et de fidélisation du public.
Avec au minimum cinq feuilletons par jour à heures régulières sur TV2M, elles occupent une place prépondérante dans sa grille des programmes. De cette manière, les téléspectateurs savent que chaque jour sur TV2M, deux feuilletons sont diffusés le matin, deux l’après-midi (le premier en début d’après-midi après le journal, l’autre en fin d’après midi) et enfin, celui de grande écoute en début de soirée, à 19h30. La plupart du temps, les après-midi sur TV2M sont rythmées par deux épisodes consécutifs d’Estrella, une télénovela sud-américaine et de Vaidehi, une série indienne doublée en darija. La nuit n’échappe pas aux feuilletons : trois épisodes sont rediffusés toutes les nuits sur TV2M. La diffusion à 19h30 est primordiale pour la chaîne car c’est une heure de grande écoute à laquelle les meilleures audiences sont réalisées. Ainsi, au mois de mai 2012, le feuilleton turc Ma tansanich rassemblait chaque jour presque sept millions de téléspectateurs. Au mois de novembre 2012, ce créneau horaire clé était toujours occupé par deux séries turques : ichk wa jazaa (ask ve ceza en turc) et Derin Sular. Lors de la dernière semaine du mois de décembre 2012, les feuilletons turcs étaient toujours en tête : 3ailat Leila est arrivé en tête avec 54,6% de taux d’audience, suivi de ichk wa jazaa qui remporta 43,2% et enfin, Yacout, un autre feuilleton turc qui fit le bonheur de TV2M avec 37,6 % de part d’audience.
(...)
Par Belma Susler, chercheure associée au CJB.
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