Date de publication:
24 Février 2012
Publié ici :
24 Février 2012Mis à jour le :
22 Juin 2017Mots-clefs:
- publication
- ouvrage collectif
- Japon
- France
- exclusion
- pauvreté
Zone géographique:
- Asie
Social Exclusion? Perspectives from France and Japan
Edité par Marc Humbert & Yoshimichi Sato
Editions Transpacific Press de Melbourne, 2012
ISBN: 978-1-920901-69-1
Cet ouvrage est le fruit de la coopération entre l'institut français de recherche (à l'étranger : un IFRE) sur le Japon contemporain (UMIFRE 19 CNRS MAEE) à la Maison franco japonaise de Tokyo, et un Global Center of Excellence de l'université de Tohoku, le CSSI, The Center for the Study of Social Stratification and Inequality. C'est un bon exemple des nouvelles formes d'action des IFRE qui organisent des recherches sur des sujets d'intérêt commun voire, comme ici, d'intérêt planétaire en faisant travailler ensemble des chercheurs français, sollicitant des collègues français en pointe sur le sujet et des chercheurs d'excellence sur la question du pays d'accueil.
Ainsi on trouve dans cet ouvrage co-dirigé par l'ex directeur de l'institut français de Tokyo, Marc Humbert, des chapitres écrits par des chercheurs de cet Institut, Isabelle Giraudou et David Antoine Malinas, et par des chercheurs français spécialistes, par ordre alphabétique, Pierre Concialdi de l'IRES (Institut de recherches économiques et sociales), François-Xavier Devetter du Clersé CNRS- télécom Lille, François Dubet, de l'EHESS et université de Bordeaux, Xavier Emmanuelli du Samusocial International et Serge Paugam, CNRS, EHESS Centre Maurice Halbawchs. Leurs recherches ont été confrontées avec celles de chercheurs japonais et outre un chapitre de Yoshimichi Sato directeur du CSSI de l'université de Tohoku, ont écrit chacun un chapitre Yûji Genda et Yuki Honda tous deux de l'université de Tokyo et Nanako Inaba de l'université de Ibaraki.
Les directeurs de l'ouvrage
Marc Humbert is Professor of Political Economy at the University of Rennes, France, and currently Research Fellow at the French CNRS, in Japan. He was formerly the Head of the French Research Institute on Contemporary Japan, Nichifutsukaikan, Tokyo. His research focuses on the study of societal transformation led by public and private organizations, civil society and individuals, in the context of globalization. His recent publications include: De la convivialité (About conviviality), co-authored, La Découverte, Paris, 2011 and Datsuseichō no michi: Wakachiai no shakai o tsukuru (The path towards de-growth: To build a society of sharing), co-edited, Commons, Tokyo, 2011.
Yoshimichi Sato is Distinguished Professor and Director of the Center for the Study of Social Stratification and Inequality of Tohoku University, Japan. He has been studying social stratification and inequality, trust, and social change with statistical analysis of empirical data, game-theory modeling, and agent-based modeling. His recent publications include: Kakusa to tayōsei (Disparity and diversity), vol. 1 of Gendai no kaisō shakai (Contemporary Stratified Society), coedited, University of Tokyo Press, 2011 and Japan's New Inequality: Intersection of Employment Reforms and Welfare Arrangements, coedited, Trans Pacific Press, 2011.
Introduction de l'ouvrage
En quelques décennies, le rêve planétaire de construire une « société de classe moyenne » s'est évanoui presque partout, laissant la place à l'émergence d'un cauchemar mondial : « l'«exclusion sociale ». La France et le Japon ont été parmi les sociétés les plus réussies, prises en exemple par le reste du monde montrant qu'il était assurément possible pour une nation d'inclure (presque) toute sa population dans la classe moyenne. Cependant, même ces deux pays ont souffert une désillusion croissante depuis les années quatre-vingt. Le principal problème de ces pays est maintenant l'exclusion sociale et le but de ce livre est de présenter et de contraster en cette matière les situations française et japonaise et leurs analyses. Bien sûr les auteurs de l'ouvrage ne sont pas seulement des observateurs scientifiques ; ce sont aussi des citoyens qui partagent l'idée qu'il serait mieux d'éviter l'exclusion sociale et chercher un chemin qui pourrait mener vers une société qui y échappe.
Avec un accord général selon lequel l'exclusion sociale s'est accru pendant des décennies et est devenue prégnante, il pourrait sembler au prime abord que c'est une tâche bien facile d'organiser un colloque et une publication collective comme nous le faisons ici. Cependant, pour étudier le phénomène de manière précise, pour en donner une mesure pertinente, faire la liste de ses principales caractéristiques, évaluer le rythme de son évolution et identifier les mesures qui pourraient freiner ce rythme, tout ceci requiert l'utilisation d'un vaste ensemble d'éthodologies ; et l'usage d'un vaste ensemble de méthodologies engendre des appréciations assez diverses du phénomène en question. Cette confrontation d'auteurs, d'analyses et de différentes situations a été très stimulante. Un bref compte-rendu de ce que ceci signifie pour nous doit commencer avec une discussion sur la signification des ces deux mots clés de l'ouvrage : « social » et « exclusion ».
La liaison entre les termes « social » et « économique » semble presque inévitable. En fait, l'usage courant du mot « social » recourt à l'hypothèse que la société n'est pas une entité homogène et que son hétérogénéité repose sur des différences économiques- différences de revenus- entre les individus (ou les groupes d'individus). Ces différences sont lues comme des inégalités. Quand ces inégalités laisse les individus des revenus les plus bas un sentiment qu'ils sont tombés dans une trappe de pauvreté, alors la société est confrontée à une situation d'exclusion. Cette approche suppose que cette exclusion est une question économique : c'est un problème de répartition des revenus, où l'exclusion est l'exclusion des pauvres vis-à-vis de l'accès équitable aux produits et services. Bien que l'économie ne soit pas le seul facteur contribuant à l'exclusion sociale, touts les chapitres de l'ouvrage s'y réfèrent, et le plus souvent ils font référence à la situation d'individus (ou de groupes d'individus) qui pourrait tomber dans une situation d'exclusion. Un facteur clé pour éviter cette menace est la possibilité d'être employé et de recevoir un revenu suffisant.
Sur ce point, les situations françaises et japonaises sont à maints égards semblables et à d'autres sont tout à fait différentes. Tous nos auteurs, qu'ils soient français ou japonais, sont d'accord pour dire que le meilleur moyen pour une société d'éviter cet échec, qui relègue une partie de ses membres dans une situation d'exclusion, est celui où à la fois la France et le Japon ont excellé pendant de nombreuses années : assurer un système éducatif hautement performant, à tous les niveaux, pour préparer les jeunes à entreprendre une activité économique avec une implication profonde et à développer une aspiration à rejoindre la société de la classe moyenne. Cependant ce n'est plus le cas ni dans l'un ni dans l'autre pays. Comme Sato le montre dans le chapitre 2, quelques groupes sont mis sur le côté de la société ; les plus notables sont les jeunes peu éduqués, mais aussi les plus âgés, les immigrés et les femmes, aucun d'eux ne sont aussi complètement intégrés sur les lieux de travail comme le sont les travailleurs permanents masculins âgés de 35 à 55 ans. L'importance des jeunes pour changer la tendance à l'accroissement des niveaux d'exclusion sociale est montré par le nombre de chapitres qui s'intéressent aux problèmes rencontrés par les jeunes (Genda, chapitre 4 ; Devetter, chapitre 5, Honda, chapitre 6).
Un des différences les plus significatives entre les Français et les Japonais est clairement visible dans les attitudes à l'égard des sans abris qui sont par définition pauvres et exclus socialement. En France les mouvements sociaux qui s'occupent des sans abris les aident à trouver un logement tandis que leurs homologues au Japon cherchent principalement à offrir un emploi aux sans abris (voir Malinas, chapitre 8 ; Inaba, chapitre 9), mais une explication pleinement satisfaisante de cela est encore à rechercher.
Le rôle de l'Etat providence est ancré dans les esprits en France, y inclus le rôle de la loi pour offrir des « droits » justiciables ( voir Giraudou, chapitre 11) et la nécessité de politiques pour faire sortir les pauvres de la pauvreté. En France le chômage set un problème majeur, mais il est considéré comme étant de la responsabilité de l'Etat de donner à tous ses citoyens, qu'ils soient employés ou non, ce dont ils ont besoin pour vivre avec dignité : cela comprend l'indemnisation de chômage, le salaire minimum, l'allocation logement, etc. En quelque sorte la bataille contre le chômage (Concialdi, chapitre 10) et le combat contre l'exclusion sociale (Emmanuelli, chapitre 7) ont été séparés en France. Ou plutôt « étaient » séparés. Comme les chapitres de ce livre le montrent clairement, les choses ont changé de manière significative au cours des deux ou trois décennies passées avec l'extension du phénomène d'exclusion.
Au Japon, l'inclusion sociale a été pendant de nombreuses décennies assuré par l'emploi à long terme, par l'emploi permanent et par d'autres formes d'emploi qui assuraient que le taux général de chômage a été maintenu à un niveau extrêmement bas en comparaison des autres pays (en particulier la France) et par conséquent il n'y avait pas besoin de mesures politiques spécifiques dirigées vers le chômage. En d'autres mots, au Japon, l'inclusion sociale ne venait pas de l'Etat providence – au moins dans sa composante de l'accès à la consommation individuelle à travers le revenu et la monnaie- mais des employeurs publics et privés. Ici encore les choses ont changé.
Un changement fondamental qui est apparu à cet égard est survenu de l'évolution récente de l'exclusion sociale, conduisant à une évidente dualité dans ces sociétés. Le cas théorique de cette dualité est discuté par Dubet dans le chapitre 1 et statistiquement documenté par Sato dans le chapitre 2. Comme le montre clairement Paugam dans le chapitre 3, sortir de la situation actuelle ne peut être possible qu'en considérant que les caractéristiques fondamentales de la société ne sont pas économiques – faites de revenus et de dépenses- mais sociologiques- faites de relations et de symboles. Dubet traite de la tension fondamentale entre la recherche pour l'égalité des places et l'égalité des opportunités. Sato, en examinant l'évolution de la stratification sociale, différencie deux phénomènes sociaux, la stabilité et la fluidité. Les auteurs de cet ouvrage évitent la conception marxienne de la classe sociale ainsi que la lourde rhétorique dont elle est chargée. En revanche, nous nous concentrons
sur les « places » et les « strates ». Il est clair alors que l'égalité des places et la stabilité étaient la principale question dans toute société « réelle » de classe moyenne : des différences de revenu (beaucoup moins importantes qu'auparavant) existaient entre individus en fonction de leurs différentes places ; ces individus appartenaient à différentes strates mais le fait de l'existence de différentes places et différentes strates n'était pas la preuve d'une société inéquitable. Les différences de revenu étaient considérées comme justifiables par les différences de services fournis à la société par les individus correspondants. Le système éducatif assurait l'entrée dans le système de places et de strates à un certain niveau, et ensuite le marché du travail et l'Etat providence/le système d'entreprise offraient une certaine opportunité de fluidité dans le cadre d'une société de classe moyenne.
Au cours des deux ou trois décennies passées, l'érosion du système d'entreprise et de l'Etat providence ont conduit à une nouvelle structure de places et de strates. Des différences dans les revenus et dans les opportunités se sont accrues au point qu'elles sont ressenties maintenant comme inéquitables et injustifiées. En s'appuyant surtout sur des contributions établies à partir du courant économique principal, la réponse la plus fréquente des politiques face à cette situation a été de s'engager en faveur de la promotion de l'égalité des opportunités ou de la fluidité : étendre la méritocratie après la sortie du système éducatif, remplacer le système d'entreprise (de l'emploi permanent à plein temps) par un marché du travail externe (par « chantier », précaire) et/ou par l'autoemploi, de remplacer le système de l'Etat providence par une plus grande flexibilité du marché du travail. Le résultat dans les deux pays a été une exclusion sociale plus grande encore. Les chapitres de cet ouvrage montrent que cette évolution met en danger nos sociétés, les atteignant au cœur.
Les « remèdes » proposés par les responsables politiques face à la situation sont centrés sur ses dimensions économiques, tandis que les dimensions sociologiques sont en jeu. Plusieurs chapitres de cet ouvrage montre cela précisément, à travers des analyses de cas des jeunes et des sans-abris (spécialement les chapitres 4 à 9). Bien qu'il n'y ait pas de discussion spécifique sur la situation des femmes dans ce volume, nous tenons pour certain que son analyse aurait conduit à la même conclusion. Dans la plupart des cas « d'exclusion » une personne au chômage ne voit pas seulement l'emploi comme une source de revenu. De la même manière elle ne voit pas la consommation comme donnant principalement accès à des marchandises répondant à des besoins matériels. Le revenu et la consommation sont plutôt considérés comme des moyens pour être intégrés dans la société, pour être comme les autres. Paugam (chapitre 3) l'établit clairement, nous rappelant la distinction de Durkheim : les individus non seulement comptent sur la solidarité mécanique, mais par dessus tout, sont désireux de compter pour les autres et pour la solidarité organique de la société. Mais la dure réalité de dernières décennies est que la solidarité mécaniques et, ce qui est pire, la solidarité organique sont toutes deux en péril.
Chaque chapitre de cet ouvrage est une discussion indépendante et complète de son sujet spécifique de telle sorte que le lecteur peut apprendre de chacun des thèmes sans nécessité de lire les autres. Toutefois les chapitres ont été présentés dans un ordre arrangé. Les trois premiers ( Dubet, Sato, Paugam) traitent de la question générale de l'exclusion sociale tandis que chacun des autres chapitres est dédié a un thème spécifique et à un contraste particulier entre les situations française et japonaise, l'ensemble contribuant à une compréhension large de ce phénomène. Les jeunes sont au centre des chapitres 4 (Genda), 5 (Devetter) et 6 (Honda). Puis l'ouvrage passe à l'examen des sans-abris (chapitres 7, Emmanuelli, 8, Malinas et 0, Inaba). Ces trois chapitres sont centrés sur les mouvements sociaux bien que les chapitres 7 et 8 traitent aussi des questions de l'intervention publique, qui est également le thème du chapitre 10 (Concialdi), qui analyse les politiques françaises d'emploi. Le chapitre final (Giraudou) est lui aussi centré sur la France où – avec d'autres efforts internationaux- quelques droits exprimés dans des chartes ou des accords nationaux ou internationaux deviennent « justiciables ». A droit est dit justiciable lorsqu'une personne qui ne peut accéder à un droit spécifique peut ester en justice pour obtenir cet accès de la par de l'Etat. Est-ce une utopie ? Il est difficile de dire que cette vision de la justicibialité des droits est réaliste, et nous ne sommes pas convaincus que la loi seule pourrait jamais suffire pour éliminer l'exclusion sociale. Mais y a-t-il une bonne société sans un bon ensemble de règles, une bonne loi ? Ceci est peut-être un autre débat. La question est la suivante: peut-on construire une société sans exclusion ? Nous espérons que cet ouvrage aidera le lecteur à atteindre une conclusion à ce propos.
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